Fdesouche

C’est un brouhaha d’arbres déracinés, de feuillages écrasés et de moteur vrombissant. Dans cette parcelle de Saint-Vincent de Paul, bourgade des Landes, une abatteuse est à l’œuvre : d’un coup sec, l’immense main articulée de l’engin, équipée de lames, couteaux et rouleaux, saisit le tronc d’un pin maritime et le sectionne à la base. Puis, en un tour de rotor, elle l’incline, l’ébranche et le tronçonne en morceaux réguliers. Une minute plus tard, les grumes – troncs d’arbres sans branches, mais avec l’écorce – gisent au sol, tandis que la machine se dirige déjà vers une autre cible.

Sur 250.000 m3 de chêne et 300.000 m3 de hêtre exportés par la France l’an dernier, respectivement 200.000 m3 et 132.000 m3 ont été achetés par des entreprises chinoises. Le reste a été envoyé en Indonésie, en Malaisie ou au Vietnam.

“Avec ce matériel, on peut abattre jusqu’à 1.300 arbres par jour. Mais en réalité, la coupe est raisonnée car la forêt est certifiée et sa gestion durable”, rassure Eric Neguelouart, entrepreneur forestier aux commandes du véhicule pour le compte de l’entreprise d’exploitation forestière Bordeaux Atlantique bois (BAB).

Alors que l’abatteuse s’active, un tracteur charge et dépose les grumes en bordure de route. Elles seront ensuite livrées aux usines de transformation, en fonction de leur qualité. “Les bois de moins bonne qualité, les bois d’industrie, sont envoyés dans des usines de pâte à papier ou de panneaux de particules, qui les broient. Les bois les plus nobles, les bois d’œuvre, eux, sont destinés au sciage, pour produire des meubles, du parquet, des lambris, des charpentes ou des caissages”, détaille Philippe Pourtau, président de BAB. En moyenne, les premiers se vendent 30 euros la tonne contre 50 euros pour les seconds.

(…)

LES EXPORTATIONS ONT DÉCOLLÉ

Le seul effet positif de la tempête, c’est qu’elle a contribué à faire décoller l’exportation. Depuis 2009, BAB vend ainsi 80 % de ses grumes en Europe, vers la Belgique, l’Allemagne ou la Finlande. “Avant, seulement la moitié de notre bois était exporté, presque exclusivement en Espagne. Mais avec la crise économique espagnole, ces exportations ont été ralenties. La tempête nous a permis de trouver d’autres débouchés, vers les pays d’Europe du nord”, explique Philippe Pourtau, qui supervise ce jour-là la cargaison d’un bateau de 2.500 tonnes de bois d’industrie dans le port de Bayonne, à destination de la Belgique.

“Nous avons aussi des demandes venant d’Asie, essentiellement de la Chine. Mais nous sommes réticents à conclure des contrats avec eux”, confie Philippe Pourtau. Et de justifier : “Travailler avec des pays éloignés implique de s’engager sur d’importants volumes, puisqu’il faut remplir des containers sur des gros bateaux. Or, nous avons déjà perdu 50 % des ressources du massif avec les tempêtes de 1999 et de 2009. Par ailleurs, les contrats avec la Chine nécessitent des démarches administratives lourdes et complexes et les garanties financières sont plus difficiles à obtenir.”

“NOUS PERDONS DE LA VALEUR AJOUTÉE EN EUROPE”

Si le négoce avec la Chine inquiète certains professionnels, Pékin est néanmoins en train de se transformer en acteur incontournable dans l’exportation des grumes françaises. “La demande chinoise ne cesse d’augmenter, notamment pour les feuillus, le chêne et le hêtre essentiellement. Ce sont en effet des essences qu’ils ne trouvent pas chez eux. Par ailleurs, le gouvernement imposant des quotas stricts à la coupe des arbres pour préserver ses forêts, les industriels sont obligés de se fournir à l’étranger”, explique Jean-François Guibert, président de Frenchtimber, l’association de promotion des exportations françaises de la Fédération nationale du bois. 

Sur 250.000 m3 de chêne et 300.000 m3 de hêtre exportés par la France l’an dernier, respectivement 200.000 m3 et 132.000 m3 ont été achetés par des entreprises chinoises. Le reste a été envoyé en Indonésie, en Malaisie ou au Vietnam.

“Avant, on envoyait des produits transformés à ces pays. Maintenant, ils importent nos grumes, les transforment chez eux, et nous réexportent les produits finis. Le premier fabricant de meubles et de parquet, c’est aujourd’hui l’Asie. Nous perdons de la valeur ajoutée en Europe”, déplore Jean-François Guibert.

En cause : le coût très faible de la main-d’œuvre asiatique, qui permet de dégager d’importantes marges, malgré le prix d’import et d’export du bois. Et surtout, le protectionnisme aux frontières de l’Asie. La Chine taxe ainsi l’importation de grumes à 8 %, de produits semi-transformés à 18 % (sciages, billes, planches, caissages), de parquet à 40 % et de meubles à 100 %. A l’opposé, l’Europe n’impose aucune barrière à l’accès de son marché.

FERMETURE DES SCIERIES EN EUROPE

Conséquence : la France vend aujourd’hui plus de grumes que de produits transformés. En 2011, elle a ainsi écoulé 250.000 m3 de troncs de chêne, contre 175.000 m3 de sciages de chêne, des produits semi-finis généralement destinés à une industrie de seconde transformation (menuiserie, ébénisterie, construction), et qui sont bien plus rémunérateurs – un mètre cube de grume de chêne se vend 80 euros, contre 500 euros pour le sciage.

“L’Europe devrait davantage protéger ses entreprises et ses matières premières, requiert Jean-François Guibert. Nous devons signer des accords bilatéraux pour réduire les droits de douane en Asie et taxer au même niveau les grumes et les produits transformés.”

Sous cette pression étrangère, le visage de l’industrie du bois a changé dans les Landes, première région productrice en France : l’exploitation forestière perdure, mais la transformation souffre. Aujourd’hui, il n’existe plus d’entreprise locale de fabrication de meuble. Et le nombre de scieries a été considérablement réduit. “Avant, il y avait des scieries dans chaque village. Elles achetaient le bois sur pied, le coupaient elles-mêmes et le transformaient en sciage, à destination de fabricants de meubles, de parquets ou de charpentiers, témoigne Philippe Pourtau. Aujourd’hui, ce sont surtout les usines de pâte à papier ou de panneaux qui ont besoin de bois et qui font directement appel aux exploitants forestiers. Nous vendons de la matière première.”

Lire l’intégralité de l’article sur Le Monde

Fdesouche sur les réseaux sociaux