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Killian, 13 ans, battu et étranglé par Souleymane, 16 ans, dans la cours de son collège, jusqu’à ce que mort s’en suive. Ça me rappelle ma jeunesse.
J’étais en 5ème, lui en 3ème. J’étais petit à l’époque, et lui plutôt grand. C’était pas sa première 3ème en même temps. Il s’appelait pas Souleymane, mais pas loin. Et dans la cours, un jour, sans prévenir, il m’a pris à la gorge. Il a serré sa main sur ma pomme d’Adam, comme s’il voulait l’écraser. Je commençais à m’étouffer quand un prof est passé. Il n’a rien vu, ce prof, ils ne voient jamais rien, mais mon agresseur a pris peur et m’a relâché, avant de se casser. J’ai eu très mal pendant plusieurs jours, mais j’avais oublié cette anecdote, puisque la nature est bien faite. Mais ce fait divers est venu me la rappeler.

j’ai souvent vu des Souleymane tabasser des Killian, et jamais le contraire

Ils parlent d’un motif très futile, “un banal échange de regards”. Tout à l’heure un sociologue passait à la télé, un type du CNRS. Il parlait de violence imprévisible, incompréhensible, sans motif apparent. Une violence qui augmenterait partout dans “la jeunesse”, selon lui : campagne, centre-ville, banlieue. Une violence indifférenciée en somme, un peu comme “la jeunesse”. Mais “fort heureusement”, dit-il, “les morts sont rarissimes”. Les profs eux “n’ont rien vu venir”. Ils ne voient jamais rien.
Moi, quand j’avais 12 ans, j’ai pas compris non plus. A cette époque j’en étais au même point qu’un chercheur du CNRS. Je me disais “mais pourquoi tant de haine ?”. Puis, avec le temps, j’ai tiré quelques conclusions disons… empiriques. J’ai constaté des éléments qui revenaient sans arrêt. Comme le fait que les agresseurs, dans ces histoires, ont souvent la même tête et que les agressés, aussi. Comme le fait que j’ai souvent vu des Souleymane tabasser des Killian, et jamais le contraire. Ces quelques faits qui, étrangement, attirent rarement l’attention des chercheurs du CNRS, comme des gens qui passent à la télé en général.
Tant d’autres scènes me reviennent, quand j’y repense. Dans la salle de permanence de mon collège, une bande de Souleymane faisait régner “la terreur”. Ils obligeaient les autres, les Killian, à lécher leur table, sous peine de menaces physiques immédiates. Je me souviens avoir refusé, moi. La fin de l’heure a sonné juste après. Les petites racailles sont parties en courant, tandis que j’ai dit aux autres “Mais pourquoi vous leur obéissez ? Dites-leur ‘Non’, comme moi”. On m’a répondu “C’est facile pour toi de dire ça, toi tu rentres chez toi le soir, nous on va les croiser, on habite là avec eux”. Il est vrai que je ne vivais pas au sein même de la cité qui entourait l’établissement, mais apparemment assez près pour avoir vu ce qu’il s’y passait, sur des années.
“Un banal échange de regards” qu’ils disent. Ces fameux “regards de travers” de la cours de récré, accompagnés quelques années plus tard des “hey t’as pas une garro ?” et autres “prête ton tel faut qu’j’envoie un sms !” de la rue. “Sans raison apparente” qu’ils disent. N’empêche qu’à 12 ans, j’avais une petite gueule d’intello et un teint franchement blanc, comme Killian j’en suis sûr. “Imprévisible, violence globale” qu’ils disent, mais j’avais deviné que l’agresseur ne s’appelait pas Julien, moi, et je l’avais dit à un ami avant que le vrai prénom ne soit publié.
Je ne sais pas si un jour les Killian de France apporteront une réponse à tout ceci et je ne sais pas si, dans le cas où ils le feraient, les chercheurs du CNRS la comprendraient. Ce que je sais en revanche, c’est que si j’ai la folie d’avoir un garçon, celui-ci pratiquera au moins un sport de combat, et que si cet énième fait divers ne change rien, je l’écris quand-même car c’est une fable, cette histoire. Une fable contemporaine. Le 17ème avait “Le corbeau et le renard”, nous avons “Killian et Souleymane”.
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