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Par Hugo Natowicz

Cité souterraine à Moscou, avril 2011 (source : RIA Novosti - © Photo Département de police du district Ouest de Moscou)
La récente réforme de la police a aggravé le chaos qui règne autour de l’immigration illégale en Russie. Les autorités doivent s’atteler à résoudre une crise qui n’a cessé de s’intensifier pendant l’année 2011.

Au début du mois de décembre, RIA Novosti publiait une dépêche assez hermétique, aussi bien pour les lecteurs russes que français. Son titre était “3.500 immigrés clandestins décident de quitter la Russie“. L’article expliquait qu’en deux mois et demi, plus de 3.500 ressortissants chinois et vietnamiens résidant de façon illégale en Russie s’étaient rendus de leur propre gré au Service fédéral des migrations. “Ils ont payé une amende et les visas, ont acheté des billets et quittent par groupes le territoire de la Russie“, expliquait une responsable du Service.Cette “tendance au départ” des migrants est pour le moins illogique, à l’heure où la Russie connaît une croissance économique de plus de 4 %, qui attire un grand nombre de travailleurs, clandestins notamment. Cette situation ubuesque, qui voit les migrants forcés de payer leur expulsion, témoigne du flou croissant qui règne autour du problème des “sans-papiers” venus travailler sur le territoire russe.En cause : la réforme des forces de l’ordre, celle-là même qui avait transformé la “milice” en “police”. Une des décisions consistait à enlever certaines compétences à la nouvelle police, dont la gestion de l’expulsion des clandestins. Si la détention est bien sous la responsabilité de cette dernière, ce sont le Service fédéral des migrations et le Service fédéral des huissiers de justice qui sont désormais chargés des expulsions. La transition a généré un vaste imbroglio administratif suite auquel l’argent destiné aux expulsions a cessé d’être versé.

Résultat, les clandestins se sont retrouvés dans une situation critique : certains doivent patienter jusqu’à six mois dans les commissariats de régions, qui ne possèdent pas les fonds nécessaires afin de les renvoyer vers leur pays d’origine. “Les migrants sont incarcérés dans des établissements destinés aux petits délits. Pendant six mois, une personne va en réalité se retrouver emprisonnée“, soulignait un inspecteur des prisons de la République du Tatarstan au journal Moscow News. “Les policiers ne savent plus à quel saint se vouer. Ils n’ont pas d’argent, mais ils ne peuvent pas libérer les gens“.

A Moscou, la situation est tout aussi alarmante : des centaines de citoyens tadjiks, arrêtés suite aux récents démêlés diplomatiques entre Moscou et Douchanbé, sont retenus depuis des mois dans des centres spéciaux. Même les migrants désireux de regagner leur pays à leurs propres frais ne sont pas toujours libérés.

Villes souterraines

L’année 2011 a été marquée par plusieurs scandales liés à l’immigration clandestine, qui ont quelque peu alerté l’opinion publique sur le sujet. La découverte de véritables “villes souterraines” dans la capitale russe a contribué à attirer l’attention du public sur le phénomène. Une de ces “cités” hébergeant 110 personnes dans des conditions d’hygiène et de sécurité inexistantes a fait le tour des écrans de télévision russe.

Combien sont-ils, ces migrants attirés par l’ébullition économique de la Russie, qui affichera une croissance de plus de 4 % au terme de 2011 ? Les évaluations divergent. En juillet 2010, Dmitri Medvedev affirmait que 4 millions de travailleurs se trouvaient en situation irrégulière en Russie. Des associations de défense des droits de l’homme évoquent 5 à 7 millions de personnes, dont la majorité se trouve à Moscou.

Selon la police moscovite, la région de la capitale compterait à elle seule 500.000 immigrés illégaux, principalement originaires d’Asie centrale et des républiques caucasiennes (non russes). Pas moins de 580.000 citoyens kirghizes, soit un dixième de la population de ce pays centre-asiatique, résideraient en Russie, dont une infime partie d’entre eux de façon légale. Une chose semble certaine : cette tendance va s’intensifier. Selon la Banque mondiale, l’économie russe aura besoin de 12 millions d’immigrés au cours des 20 prochaines années.

Pour Dmitri Medvedev, la plupart des problèmes liés à l’immigration (cet article n’ambitionne pas de traiter les tensions ethniques susceptibles de l’accompagner) sont causés par une législation imparfaite, qui contribue à aggraver le flou dans ce domaine. Selon le président, la plupart des règles actuelles sont enfreintes en raison de leur caractère inapplicable. Le thème des migrants sans-papiers venus d’Asie centrale, mais aussi de Chine, d’Ukraine ou de Moldavie, est devenu un phénomène massif qui exige de nouvelles solutions.

Les migrations dans l’espace post-soviétique, dont le centre de gravité est sans conteste la Russie, constituent un phénomène extraordinairement complexe. Une politique visant à octroyer la citoyenneté aux arrivants est impensable, en ce qu’elle créerait un appel d’air dévastateur pour l’économie et la démographie de plusieurs Etats d’Asie centrale et de la CEI. Il est toutefois temps pour la Russie d’élaborer une politique claire et efficace, afin de dissiper le flou qui règne dans ce domaine.

RIA Novosti

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