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Par Gérard Montassier, diplomate et écrivain, président de la Fondation Internationale pour une Histoire de la Civilisation Européenne.

Une séance au Parlement européen

Il est étrange que l’on ne veuille pas voir l’Europe telle qu’elle est, première étape avant d’apporter les remèdes qu’elle réclame.

Les uns s’effraient encore de la menace d’un fédéralisme à l’ancienne, une formule qui n’est plus adaptée à l’état où est parvenue la construction européenne, et ils préconisent la méthode intergouvernementale, source d’interminables chicanes sans procédure d’arbitrage. Un remède lui aussi dépassé.

Beaucoup considèrent, navrés, que les peuples sont séparés de leurs élites politiques par un gouffre qui s’élargit. Un gouffre, en effet. Il vient du fait que nos élites politiques, nationales ou européennes, s’aveuglent, ou nous mentent, sur leur impuissance à traiter la situation actuelle. Impuissance relative à l’échelle européenne, totale à l’échelle nationale.

Et cela les peuples le voient chaque jour à leurs dépens, et pas seulement les Grecs, les Irlandais et les Portugais. Quant à dominer la mondialisation future, quand on ne maîtrise pas l’actuelle, progressivement montée en puissance depuis les années 1960, qui peut penser que nos gouvernements et l’Union en soient capables ?

Il faut à l’évidence changer de pratique, d’ambition, de stratégie, car l’Europe actuelle nous laisse sans protection et sans avenir face à cette mondialisation en rapide évolution. Affolés, il arrive à certains de rêver de « démondialisation » : c’est aussi réaliste que de vouloir effacer 50 ans d’histoire pendant lesquels le monde a plus changé qu’en deux siècles. Il vaudrait mieux voir la réalité en face, examiner les remèdes qu’elle permet, et avoir la volonté de les mettre en oeuvre.

L’Europe, et elle seule, a les capacités économiques, financières et culturelles de retrouver un rôle dans la mondialisation multipolaire qui s’annonce, avec le déclin de la domination américaine. Mais elle ne jouera ce rôle que si elle s’unit, et elle ne s’unira que si elle devient démocratique dans ses institutions.

Aujourd’hui, elle est gouvernée par un Conseil de dirigeants politiques nationaux, qui ont été élus pour défendre les intérêts de leur pays, et non pour être en charge des intérêts de l’Union, comme hier elle était gouvernée par une technocratie communautaire : deux méthodes périmées. Cela ne marchera plus jamais.

Les Européens veulent désormais des dirigeants responsables, et les choisir eux-mêmes, sinon le gouffre s’élargira encore. On ne gouverne pas une union politique comme une union douanière : il y faut le soutien des peuples.

Sans entrer dans le détail, l’Union doit être réformée avec un parlement d’où émane un gouvernement responsable devant lui. Une constitution de 20 articles, dont les principes tiennent en une page lisible par tous les citoyens, à l’inverse du projet rejeté, suffit pour organiser la nouvelle structure politique.

L’Union doit être compétente et forte uniquement pour ce qui est commun à tous les Européens : la politique économique et financière, la politique étrangère et de défense, l’écologie, les transports intra-européens, la recherche, la promotion et la diffusion du patrimoine culturel. Elle n’a aucune vocation à se mêler des vies nationales et locales.

Cette réforme du fonctionnement institutionnel implique donc une redéfinition des relations entre Union, eurozone, Etats et régions, car il s’agira d’une Europe très décentralisée, la mieux apte à gérer tout ce qui ne concerne pas l’ensemble des européens. C’est au niveau de la grande région, regroupant 4 ou 5 régions françaises, que peuvent se résoudre le mieux l’aménagement du territoire, la solution des problèmes écologiques, la production d’énergie, l’éducation et le développement culturel, avec l’appui d’un Etat qui coordonne et d’une Europe qui fédère. Et de considérables économies administratives peuvent aussi être réalisées par cette voie. Cela vaut mieux que la rigueur.

L’Union doit enfin consacrer ses ressources à son développement interne : diminuer ses dépenses militaires par la mise en commun des moyens – des dizaines de milliards d’euros à récupérer – et se garder de se mêler de guerres qui ne la concernent pas. Financer son développement économique et son rayonnement culturel – ce que savent faire les Américains – par les moyens d’un budget européen autonome et d’emprunts contractés par l’Union, qui n’a aucune dette, avec des eurobonds destinés à l’investissement et à la croissance, et non à la seule conversion des dettes nationales. Réviser enfin les méthodes de son aide au monde – elle est le premier donateur avec 55% de l’aide globale, soit 50 milliards d’euros – qui est devenue un gaspillage inefficace. Stimuler la recherche médicale, et la partager généreusement, mieux former les enfants d’immigrés, quelles que soient les méthodes de régulation de l’immigration, serait autrement plus utile pour nous et pour le monde en détresse.

L’Europe peut alors de nouveau se retrouver au centre de l’Histoire, en jouant le rôle de pionnier des regroupements pacifiques, et être, de ce fait un incitateur pour les autres regroupements. Sa mission serait désormais de pacifier le monde – la guerre est le principal facteur de misère du Tiers-monde – et de rechercher les coopérations les plus efficaces.

Une vocation qu’elle peut assumer, grâce aux moyens de son économie, la richesse de sa culture, son expérience des mécanismes politiques, et parce qu’elle n’a plus aucune motivation impérialiste. Elle seule a l’autorité nécessaire pour négocier avec les Etats-Unis, éventuellement leur tenir tête, sans pour autant manifester un antiaméricanisme systématique. Elle seule peut tenter de négocier avec les autres Etats émergents, sinon avec les autres civilisations, dont elle partage le sens aigu de la particularité, les accords d’organisation dont la mondialisation a besoin. Une mondialisation organisée et régulée.

Nécessité fait loi, une loi que devrait reconnaître tous les partis politiques : vouloir l’Europe démocratique. Seule une Union rénovée peut affronter les défis du XXIe siècle, seule elle peut protéger les intérêts, la sécurité et la dignité des européens et rendre audible le message qu’ils doivent adresser au monde.

Slate

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