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Par Jacques Sapir

Georges Papandréou a annoncé sa démission dimanche 6 novembre. Pour l’économiste Jacques Sapir, la Grèce disposait d’un plan B qui pouvait lui permettre d’échapper aux fourches caudines de l’Union européenne. Un plan que ne pouvait pas proposer Georges Papandréou.

La crise de la Grèce s’est invitée avec une force toute particulière au G-20 de Cannes. Elle a révélé toute l’arrogance et la suffisance du couple Merkel-Sarkozy. Du lundi 31 octobre au vendredi 4 novembre, nous aurons vu se déployer l’hubris de la chancelière et du président à l’encontre de la Grèce. La cause ? Le projet, désormais abandonné, de référendum  avancé par le premier ministre Georges Papandréou. La décision initiale était pourtant logique pour un homme qui assume aujourd’hui une politique profondément réactionnaire, mais qui doit faire face aux attaques incessantes de l’opposition conservatrice dans son pays. Cette décision pouvait même se targuer d’être démocratique : devant l’ampleur et la dureté des mesures décidées, rien de plus normal que de demander au peuple son avis.

Mais c’était bien sur ce point que le bât blessait. Dans l’Europe telle que nous la connaissons, il n’est pas question de faire intervenir les peuples, si ce n’est pour les faire applaudir aux décisions prises. On pense alors aux indications de mise en scène de l’opéra Boris Godounov : « Le peuple est là et se tait ».

La fureur du couple Merkel-Sarkozy en fut pas manifeste, et l’on ne chercha pas à la dissimuler. On a ainsi convoqué le chef de l’exécutif d’une État souverain dans des conditions humiliantes ; on lui a fait la leçon. On a menacé la Grèce des pires maux. À la fin des fins, on a multiplié les pressions pour que le référendum soit retiré, ce qui a été fait le vendredi 4 novembre. Pourtant, nul n’a pensé que Georges Papandréou s’était en réalité comporté comme un partenaire loyal, un « européiste » – à savoir un partisan des institutions de l’Union européenne et de la zone euro – exemplaire.

Imaginons que le premier ministre ait eu en tête les intérêts de son pays et non pas ceux de la zone euro, ce qui après tout pourrait être normal pour un chef de gouvernement, et même constituer la moindre des choses. Il ne pouvait ignorer qu’il n’existe aucune procédure légale pour expulser un pays de la zone euro. Ceci a été dit et redit à de nombreuses reprises par les responsables du service juridique de la Commission de Bruxelles. Dès lors, Georges Papandréou aurait pu parfaitement prendre la décision de réquisitionner temporairement la Banque centrale de Grèce (pour une période d’un an) et lui faire émettre pour 360 milliards d’euros (le montant de la dette publique grecque) d’avances au Trésor public à un taux de 0,5%.

Avec cet argent, il pouvait alors racheter la dette entre les mains des détenteurs grecs et non-résidents. Le fardeau des intérêts de cette dette – qui représente aujourd’hui environ 7,5% du PIB – aurait ainsi été ramené à 0,75%, contribuant à faire baisser de manière substantielle le déficit budgétaire. Des avances ultérieures auraient pu être consenties par la suite pour constituer une « cagnotte » du Budget, dans laquelle le gouvernement aurait pu puiser pour faire face aux déficits qu’il faudrait cependant maintenir jusqu’en 2015 ou 2016. Dégagé du poids des dettes accumulées, le gouvernement aurait pu se consacrer aux réformes structurelles indispensables, mais sans chercher à revenir à tout prix et rapidement à l’équilibre budgétaire, ce qui aurait permis d’assouplir les mesures d’austérité meurtrières aujourd’hui imposées à la population.

On dira alors, et immédiatement, qu’une telle mesure devrait être inflationniste. Mais, rapportée aux 9 200 milliards d’euros du PIB de la zone euro (en 2010), cette création monétaire directe de 360 milliards d’euros ne pèse que 3,9%. Ce montant est tellement négligeable que l’effet inflationniste aurait été nul.

On dira aussi qu’une telle mesure est contraire, dans son esprit, aux dispositions du  traité de Maastricht sur l’union économique et monétaire. Elle contrevient en particulier au statut organisant le réseau des banques centrales autour de la Banque centrale européenne. C’est incontestablement exact. Mais que pourraient faire les autres pays de la zone euro ?

– Décider de supprimer les aides à la Grèce ? Mais, avec une telle création monétaire, elle n’en a plus besoin.

– Exclure la Grèce de la zone euro ? C’est juridiquement impossible.

– Décréter un embargo sur les produits grecs ? Outre le fait que son commerce avec la zone euro ne représente que 35% du total de son commerce extérieur, la Grèce pourrait alors attaquer les autres Etats devant la Cour de justice de Luxembourg avec de bonnes chances de gagner…

De fait, une telle mesure mettrait le gouvernement allemand au pied du mur. S’il est logique avec lui-même, et s’il veut respecter les décisions de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, c’est lui qui doit quitter l’euro. Mais alors, la zone euro libérée de l’Allemagne (et sans doute de l’Autriche et de la Finlande) pourrait s’organiser de manière plus rationnelle.

Par ailleurs, l’euro, sans le poids de l’Allemagne, se déprécierait d’environ 20% tandis que le mark reconstitué aurait tendance à s’apprécier de 15% à 20%. L’écart de taux de change pourrait ainsi atteindre 33% (calculé à partir de la nouvelle valeur du mark retrouvé) ou 50%, depuis celle de l’euro maintenu. Cet écart serait plus que suffisant pour que les excédents commerciaux de l’Allemagne (réalisés à 60% dans la zone euro) fondent comme neige au soleil et que nous revenions à la situation de 2000/2001. On découvrirait alors que ce pays est en déficit commercial dans ses échanges avec les pays émergents…

Sinon, si le coût commercial d’une sortie de l’euro apparaissait comme trop important à l’Allemagne, elle pourrait prendre la décision de rester malgré tout dans cette zone, quitte à amender sa Constitution. Mais alors, elle donnerait raison à la Grèce, et gageons que d’autres pays imiteraient bientôt l’exemple d’Athènes. De proche en proche, nous aurions l’équivalent de l’« assouplissement quantitatif » que la Réserve fédérale américaine a réalisé. Il serait mis en œuvre non pas par la BCE, mais par les banques centrales de chaque pays.

La poussée inflationniste serait en réalité très faible. Le montant total de cette émission a été estimé par le président de la Commission européenne,  M. Barroso lui-même, à 2 200 milliards d’euros, soit un peu moins du quart du PIB annuel de la zone. C’est un ordre de grandeur équivalent à celui des « assouplissements quantitatifs » mis en œuvre par la Réserve fédérale américaine. Une telle injection de liquidités, dans des économies stagnantes, voire en récession, n’aurait pas l’effet inflationniste qu’elle pourrait avoir si la totalité des capacités de production étaient employées.

L’euro se déprécierait par rapport au dollar, revenant vers un taux de change  de 1 euro pour 1,15 ou 1,20 dollar. Ceci apporterait un ballon d’oxygène salvateur aux pays de l’Europe du Sud, mais aussi à la France où toutes les études économétriques, à commencer par celles réalisées par l’INSEE, montrent l’effet destructeur de la surévaluation actuelle de l’euro. Il ne resterait plus qu’à tirer les enseignements institutionnels de ces pratiques, en modifiant le statut de la Banque centrale européenne.

Georges Papandréou n’a rien fait de tout cela. Il s’est même bien gardé d’en agiter la menace. Il a ainsi montré qu’il était bien le digne et loyal représentant d’un parti européiste, le PASOK,  membre de l’Internationale socialiste. Ce faisant, il a laissé passer une belle occasion pour son pays, mais il a aussi choisi les institutions européennes existantes contre les économies et contre les peuples de l’Europe. Le couple infernal Merkel-Sarkozy aurait pu, et aurait dû, l’en remercier ! On peut cependant se demander si dans d’autres pays, une telle idée ne fait pas son petit bonhomme de chemin…

Marianne

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