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Tous les yeux sont braqués sur le campement “Occupons Wall Street “, mais à quelques kilomètres de New York, des dizaines de sans-abris campent dans un village de tentes installé dans un sous-bois. Les voisins de cette banlieue tranquille ont saisi la justice pour les expulser.

Comment Reading, cité ouvrière, a sombré

C’est l’histoire d’une déchéance, celle d’une gentille ville ouvrière d’abord touchée par les difficultés de la métallurgie américaine, dans les années 1970, dont la descente aux enfers s’est brutalement accélérée ces dernières années. Symbole de l’effondrement industriel qui, aux États-Unis, a accompagné la montée en puissance de l’économie financière et des services, Reading (86 000 habitants), dans le comté de Berks, en Pennsylvanie, est aujourd’hui, selon le Census Bureau (équivalent américain de l’Insee), la ville la plus pauvre du pays : 41,3 % de ses habitants sont sous le seuil de pauvreté.

Ici vit une autre Amérique. Pas celle des expropriés de la récente crise financière, mais celle des victimes de la dernière phase de désindustrialisation du pays. Pourtant, contrairement à certains quartiers de Detroit (Michigan) ou Cleveland (Ohio), villes phares de l’effondrement de la “vieille industrie “, où la désolation est instantanément perceptible, le centre-ville de Reading témoigne d’un provincialisme où, il y a peu, on ne vivait pas si mal.

Mais il suffit de tourner au coin de Main Street pour être confronté à une autre réalité. Ici, le Berks Community Action Program (BCAP) distribue des vêtements aux plus indigents. Là, une autre association fait la promotion de ses programmes : “Comment gérer son budget lorsqu’il diminue fortement “. Les cours sont gratuits. A côté, le cabinet juridique Krasno, Krasno & Onwudinjo vante son savoir-faire dans la défense des accidentés du travail et des salariés licenciés.

Des licenciés, Reading, depuis quinze ans, n’a quasiment connu que cela. Une cascade qui, dans “ce bourg de cols-bleus où les salaires et la couverture sociale étaient bons et la syndicalisation élevée”, selon le consultant local John Devere, a laissé l’emploi exsangue. La ville et son voisinage accueillaient différentes industries : de l’ancien type (métallurgie, agroalimentaire, textile), mais aussi de la “nouvelle économie” (électronique, téléphonie)… Dana, sous-traitant automobile, a fermé en 1999, comme le métallurgiste Carpenter qui disposait d’un laboratoire de recherche. Herschey (agroalimentaire), Baldwin Bras (matériel de bureau) ont suivi.

Apparition de gangs

Le cas le plus éloquent est Agere (ex- Lucent Technology) qui fabriquait semi-conducteurs, câbles à fibres optiques et composants téléphoniques. Son site est progressivement passé de 5 000 à 1 600 salariés avant de fermer, en 2003. “Aujourd’hui, dit M. Devere, Agere ne fabrique plus rien aux Etats-Unis, toute sa production a été délocalisée”, à Bangalore (Inde) et Shanghaï (Chine), en Thaïlande, aux Pays-Bas et en Israël…

Durant “douze années terribles (1993-2005), 20 usines employant entre 300 et 4 000 salariés ont mis la clé sous la porte”, note M. Devere. La plupart ont délocalisé leur production, d’abord au Mexique, plus récemment en Asie et même en Europe : parce que le travail est moins cher ailleurs, parfois parce que la compétence des salariés y est meilleure.

La ville ne s’en est pas remise. Aujourd’hui, l’hôpital est le premier employeur. Il ne reste sur le comté que des PME de 20 à 200 salariés. Pat Giles, vice-présidente de la section locale d’ United Way, association nationale centenaire d’action sociale, cite trois pistes pour expliquer “l’engrenage” : “Lorsque de très gros employeurs partent, cela ébranle l’équilibre d’une communauté ; le remplacement des industries par des services utilisant des travailleurs sans qualification et précaires modifie la sociologie locale ; et, enfin, Reading a connu un problème spécifique et tragique de spéculation immobilière.”

Pour résumer, le départ des gros industriels et leur remplacement par des services bas de gamme ont fait partir une population qualifiée : en 1990, Reading comptait 2 500 salariés dans des laboratoires de recherche. Cette population a été remplacée par de nouveaux venus qui n’ont pas les mêmes niveaux de formation.

Enfin, des promoteurs immobiliers, attirés par les lotissements coquets devenus disponibles, les ont divisés en deux ou trois pour réaliser de jolies plus-values en revendant à une population peu fortunée en quête d’un accès à la propriété moins coûteux, dans un “environnement sain “.

Celle-là, dans l’immense majorité, a été hispanique. Depuis des générations, une population “latina” vivait ici. Comme souvent, une immigration ethnique a attiré ses propres ressortissants. La ville ouvrière est devenue une cité ghetto ethnique pauvre. A l’école primaire, indique Mme Giles, “80 % des enfants sont hispanisants. La ville l’est à 58 %”.

L’environnement sain” s’est détérioré avec l’apparition de gangs. Presque partout en ville, on rencontre ces milliers de jeunes et de moins jeunes désoeuvrés, assis devant leur véranda et dont les travailleurs sociaux locaux disent qu’ils “ne retravailleront jamais.”

Doug Long, le directeur du développement du Greater Berks Food Bank, qui donne gratuitement aux nécessiteux des aliments, présente un saisissant résumé de l’effondrement : son organisme distribuera cette année 2 800 tonnes de produits d’alimentation, contre 740 il y a quinze ans. “Le plus désolant, relève Mme Giles, c’est que si par miracle Agere entendait rouvrir, nous n’aurions plus la population capable d’y travailler. Ce qui nous arrive touche déjà bien d’autres villes moyennes en Pennsylvanie.”

Le Monde

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