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Il a simplement suffit d’une quinzaine d’années pour que la mondialisation mette l’économie mondiale à genoux. En effet, depuis la conclusion des négociations de l’Uruguay round et la création de l’OMC en 1995, les pays du monde entier se sont engagés dans une course effrénée pour réaliser le maximum de croissance et de prospérité.

Les multinationales, de leur côté, ont bénéficié d’avantages fiscaux et de conditions de production très favorables pour dégager des bénéfices exceptionnels. Mais cette période a également été « riche » en crises, à commencer par la chute des dragons asiatiques à partir de 1997, puis les crises russe et argentine, etc.

Et maintenant, la crise est globale. La croissance mondiale est doublement confrontée à la baisse de la demande dans les pays développés, mais aussi à la baisse des investissements, puisqu’elle est logiquement liée à la demande. Et dans l’immédiat, la relève n’est pas encore assurée par la Chine qui enregistre pourtant le taux de croissance le plus important au monde ces dernières années.

Il en résulte une sérieuse menace: si rien n’est fait pour ranimer la demande, la difficulté des multinationales à trouver des marchés pour écouler leurs marchandises risque de les ruiner et de compliquer davantage la crise de la dette et la situation financière des banques, les flux commerciaux à partir des pays en développement risquent d’accuser une baisse considérable, etc. Et c’est déjà le cas au niveau global car l’OMC, elle aussi, vient de réviser à la baisse ses prévisions de croissance pour le commerce mondial en 2011 à 5.8% contre 6.5% initialement.

C’est ainsi que le FMI et la Banque mondiale recommandent aux pays membres de rééquilibrer la demande, de renforcer la capacité des banques et de résoudre au plus vite le problème de la dette souveraine mais aussi celle des ménages, outre une multitude de solutions à caractère général.

Facile à dire !

Au fait, le pessimisme qui a gagné les opérateurs n’est pas sans justification. Il est argumenté par plusieurs paradoxes donnant des signaux négatifs qui commencent au niveau de la communauté internationale elle-même et qui finissent au niveau des solutions proposées, aussi paradoxales que les problèmes.

Paradoxes

C’est d’abord une question de leadership. Avant la libéralisation et le démantèlement des barrières tarifaires, la régulation était assurée par chaque État, les politiques de réformes étaient donc relativement plus faciles à penser et à mettre en œuvre. Aujourd’hui, les États ont cédé d’une certaine manière cette capacité de régulation. C’est le FMI et la Banque mondiale qui gèrent l’économie globale mettant à contribution tous les États membres, sans pour autant avoir un caractère contraignant, puisque chaque État est souverain quant à l’adoption des politiques économiques intérieures. Or, dans un contexte d’ouverture, toutes les politiques économiques intérieures renferment une dimension internationale.

Deuxième paradoxe : la correction de la dette par une nouvelle dette. Contrairement au principe communément connu « qu’on ne prête qu’aux riches », la communauté internationale, en adoptant la solution de renforcement des capacités des banques pour ré-échelonner les dettes des entreprises et des ménages, voire pour octroyer de nouveaux crédits, risque d’enfoncer le clou encore plus.

Il a été prouvé dans plusieurs pays, entre autres en Tunisie, que le financement par le crédit est un investissement difficile qui risque de plonger les entreprises dans des difficultés dès les premières années d’activité, surtout si la conjoncture est défavorable. Et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle plusieurs économistes estiment que l’investissement par une contribution dans le capital est plus judicieux, dans la mesure où il permet de partager les risques et de minimiser les frais.

Troisièmement, l’augmentation de la demande. Depuis la nuit des temps, le libéralisme a misé sur la consommation pour créer des emplois et des richesses. Aujourd’hui aussi, il n’y a pas d’autres solutions devant les multinationales que d’augmenter la demande dans les pays émergents pour accroître leurs ventes. Or cette solution s’estompe devant deux obstacles qui ne sont pas des moindres.

Le premier est lié à la rareté —de plus en plus sensible— des matières premières, ce qui se traduit par une inflation des cours et une atteinte à l’environnement. Ce n’est donc pas une solution durable. Et le deuxième est en rapport avec le pouvoir d’achat des populations dans les pays émergents et à faible revenu. Plusieurs d’entre eux affichent pourtant des taux de croissance positif. Cela nous conduit à évoquer une problématique majeure qui a conduit la mondialisation à ce stade de dégradation : la compétitivité.

Les multinationales sont concernées

En effet, depuis le début de démantèlement des barrières tarifaires, les pays en développement se sont engagés dans une course pour attirer les investissements étrangers. Et les multinationales se sont mises à se frotter les mains pour produire moins cher dans « les paradis fiscaux » et les pays à faibles revenus, bénéficiant de plusieurs avantages de tout genre. Les États, en accordant des avantages fiscaux, devaient chercher des ressources budgétaires alternatives en créant de nouvelles taxes sur la consommation par exemple.

Aujourd’hui, se pose la question si ces investissements étrangers ont vraiment créé des richesses là où ils sont implantés ou pas. Il n’y a pas de statistiques détaillés à ce propos, d’autant plus qu’il n’est pas prudent de généraliser. Mais disons que plusieurs multinationales ont réussi à créer des dynamiques économiques dans leurs environnements immédiats et plusieurs autres ont juste exploité une main-d’œuvre bon marché comme des sangsues. Ce sont généralement les entreprises qui délocalisent pour le moindre motif. C’est une anomalie.

Il y a eu libéralisation du commerce et des flux de capitaux « mais il n’y a pas eu libéralisation de la main-d’œuvre », constate Josef Stieglitz, prix Nobel de l’économie, lors d’un séminaire sur la « mondialisation et la croissance inclusive », tenu en marge des assemblées annuelles du FMI et de la Banque mondiale. Les deux institutions s’arrêtent à ce niveau d’analyse et confient aux États membres de trouver comment. Elles recommandent une croissance plus inclusive, donc avec une meilleure répartition des fruits de la croissance, sans rentrer dans les détails.

A aucun moment, personne n’a évoqué par exemple l’impératif de mettre en œuvre les règles du commerce équitable, ni de rendre la norme sociale indispensable dans le commerce mondial. Les multinationales n’accepteraient pas. La Chine n’acceptera pas. Pourtant, lorsque le processus de mondialisation a commencé, les économistes ont projeté que le nouveau contexte allait être plus favorable aux pays en développement et le monde serait meilleur. Or il s’avère aujourd’hui que ce n’est pas le cas. Les plus riches se sont enrichis davantage et les plus pauvres se sont compliqués la vie, quoique la Banque mondiale ne fasse état de 400 millions d’âmes ayant sorti de la pauvreté (en Chine). Mais en contre-partie, dans plusieurs pays, le pouvoir d’achat s’est dégradé, et plusieurs millions de personnes ont replongé dans l’extrême pauvreté.

En Tunisie, par exemple, la politique économique du régime déchu a été amenée, faute de bonne gouvernance, de brader le pays pour attirer les touristes et les investisseurs, ce qui a contribué à la dégradation du pouvoir d’achat et la propagation de la pauvreté sur environ un quart de la population selon les chiffres corrigés après la révolution. Le pays qui a beaucoup investi dans les ressources humaines s’est retrouvé aujourd’hui en difficulté politique et sociale et le marché s’est beaucoup éloigné de la réalité des prix. Le monde meilleur qui a été promis par Ben Ali n’est pas aujourd’hui si meilleur que cela ne l’était dans les aspirations des Tunisiens, du moins une majorité.

Le problème qui s’ensuit c’est que ce processus est irréversible. La mondialisation est aujourd’hui un fait accompli avec lequel il faut composer. Les multinationales qui sont déjà parmi nous ne vont pas quitter facilement une richesse humaine qualifiée bon marché (Smig inférieur à 140 euros).

Et évidemment on ne va pas procéder à une hausse rapide des salaires (cela va se traduire par une inflation injustifiée), mais si ces multinationales partageaient leurs bénéfices avec leurs employés comme on le faisait auparavant dans le domaine agricole (on continue de le faire jusqu’à présent dans la cueillette des olives à raison de 50% / 50%), cela leur ferait plus de motivation pour produire davantage d’une part.

Cela ralentirait sans doute la croissance de ces multinationales mais, d’autre part, cela créerait de nouveaux gisements de croissance, permettrait d’augmenter la demande dans les zones les plus défavorisées du monde (où sont implantées ces entreprises) et générer de nouvelles ressources budgétaires pour les États. N’est-ce pas mieux que les crédits ?

La Presse de Tunisie

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