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Par Philippe Béchade

Imaginons un essai de fiction économique que nous aurions rédigé il y a deux ans. Nous y aurions imaginé toutes les erreurs stratégiques des membres de l’Eurozone… saupoudré le dossier grec de phrases assassines attribuées à tel ou tel dirigeant européen… renforcé l’intensité dramatique avec des rumeurs de faillites bancaires ayant des relents de complot et une succession de déclarations malvenues de la part de la nouvelle patronne du FMI.

Si vous aviez eu cet ouvrage entre les mains, vous auriez jeté ce concentré d’invraisemblances à travers la pièce avant même d’en lire l’épilogue — cela tombe bien, nous ne l’avons pas encore écrit ! Non vraiment, même en aimant voir brocardés les grands de ce monde, il est des degrés d’imbécilité que l’on ne saurait prêter aux dirigeants européens ou de la BCE, même au nom d’une satire sans concession.

Deux ans plus tard, la Grèce, l’Europe et le système financier international se retrouvent au bord du gouffre. Une large fraction de l’opinion allemande et néerlandaise est partisane de faire un exemple avec la Grèce. Il s’agit là d’une option suicidaire relayée par la presse et soutenue par certains ministres en exercice.

Le bel exemple que voilà ! La leçon de Lehman n’a pas été apprise !

Rappelons que l’État allemand s’était montré beaucoup moins regardant au moment de recapitaliser les bad banks germaniques en 2008. L’ardoise des créances pourries qu’elles détiennent dépasse déjà les 50 milliards d’euros, c’est-à-dire bien plus cher que ce que coûterait une faillite de la Grèce. Une faillite — à notre avis — très évitable à l’origine.

La Grèce qui s’ingéniait à suivre ses partenaires européens à cloche-pied depuis 2001 avait fini par trébucher et s’était écorché le genou fin 2009. “Qu’elle se débrouille pour trouver un antiseptique et un pansement”, avaient déclaré les Allemands, “ça lui fera les pieds”.

Six mois plus tard, la plaie était devenue purulente. Les Européens ont convenu qu’il fallait administrer quelques antibiotiques. Mais pas question d’envoyer Athènes aux urgences, ça coûte trop cher — et puis c’est interdit par le Traité de Lisbonne : relire l’article 104 qui proscrit toute injection de capitaux sous forme de prêt en faveur d’un pays en difficulté.

Un an plus tard, la Grèce est atteinte par la gangrène ! C’est si vrai que le ministre des Finances néerlandais proposait (le 7 septembre) de couper le membre malade, avant que l’Europe entière y passe.

48 heures plus tard, nous apprenions que l’un des chirurgiens orthopédistes partisan d’une ablation depuis le début démissionne. Vous avez compris que nous faisons allusion à Jürgen Stark, l’économiste en chef de la BCE, lequel ne plaisante pas avec ceux qui ne respectent pas les critères de Maastricht et gèrent mal l’argent public.

Cette nouvelle a provoqué une panique dans l’hôpital vendredi après-midi. Nombre de patients et d’infirmiers ont sauté par les fenêtres ; une analogie évidente avec les investisseurs liquidant massivement des banques comme la Société Générale, des assureurs comme AXA ou certains établissements de crédit  italiens.

▪ Il convient de souligner qu’avant cette annonce, les places européennes perdaient tout au plus 1% et Wall Street semblait en mesure de limiter son repli à 0,2/-0,3%. Le plongeon de 100 points du CAC 40 en l’espace d’une fin d’après-midi n’était pas gravé dans le marbre… sauf si vous aviez décidé d’ajouter un prochain chapitre (encore plus exaspérant que les précédents) à notre essai de fiction économique.

▪ Les Américains — enfin, surtout la Fed, Tim Geithner et les quotidiens économiques réputés à droite — ont souvent critiqué ces dernières semaines l’incapacité des Européens à surmonter les difficultés économiques causées par l’effondrement des institutions financières américaines en 2008.

Accuser les pompiers européens de manquer d’efficacité alors qu’on est l’incendiaire, c’est une attitude à la limite de la provocation ! Mais voir depuis 48 heures divers sherpas de la Zone euro jeter de l’huile sur le feu alors que les vents contraires soufflent à 150km/h, c’est tout de même un comble.

C’est dans la tourmente que l’on juge de la capacité d’une équipe à se remobiliser et à faire front face à l’adversité. L’image que véhicule l’Europe, ce sont des quolibets entre co-équipiers sur le terrain. Et on découvre maintenant que la bataille fait rage jusque dans les vestiaires !

L’Europe ne semble même pas en mesure d’opposer le moindre réflexe de survie face aux attaques spéculatives qui l’assaillent de toute part pour cause de manque de gouvernance dans le dossier grec.

▪ Alors que la monnaie unique et les dettes souveraines de l’Eurozone sont malmenées par la tempête, l’un des lieutenants du vaisseau BCE quitte le navire. Cela survient quelques mois après la démission d’Axel Weber qui avait bien pressenti dans quelle impasse s’engageait l’Europe sans harmonisation fiscale, volonté collective d’affronter la question des déficits.

Le vaisseau européen n’a apparemment plus de gouvernail. Plus personne sur la passerelle du G7, qui a jeté l’ancre à Marseille, n’a la moindre idée sur la stratégie à adopter.

Un éclair de lucidité semble cependant avoir traversé l’esprit d’Angela Merkel. Peut-être faudrait-il revoir quelques éléments de l’architecture de la Zone euro (de conception allemande à 95%). Bel effort psychologique… mais pour amender le Traité de Maastricht, il va falloir l’assentiment de l’ensemble des pays européens : cela va prendre juste quelques années.

Le problème, c’est que les spéculateurs exigent que les bonnes décisions (de leur point de vue, pas de celui de la BCE ou de Berlin) soient prises dans les jours qui viennent.

Comme de tels délais sont impossible à respecter, la City ou Wall Street considèrent que toutes les hypothèses sont désormais plausibles. Une éviction de la Grèce… une sortie de l’Allemagne qui ne veut pas payer pour les autres… un effondrement de la Zone euro par effet domino avec l’Italie partant en vrille et entraînant la France puis l’Espagne dans son sillage.

Jamais la Zone euro à la mode Maastricht n’est apparue une construction aussi mal fichue, avec un véritable choc des cultures entre les pays nordiques et méditerranéens.

La France fait désormais partie de cette seconde catégorie, si l’on en juge par le niveau atteint par les CDS associés aux OAT… mais c’était avant que l’on ne découvre du pétrole au large de la Guyane !

Les marchés ont donc sanctionné à juste titre — par une chute moyenne de 4% de Paris à Francfort — ce comportement lamentable de l’Europe (ainsi que de ses élites) et de ce qui ressemble à une véritable décomposition des idéaux franco-allemands des années 60.

Mais que dire du G7 qui annonce en plein psychodrame grec que chacun va continuer de ramer à son rythme en se fichant de la direction que prendra la parité euro/dollar ? C’est tout ce qui nous manquait !

La Chronique Agora

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