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Par Éric Le Boucher, directeur de la rédaction d’« Enjeux-Les Échos »

La folie des marchés cet été a démontré que la crise était beaucoup, beaucoup, beaucoup, plus grave qu’on l’a cru. La reprise nous avait illusionnés. Elle semblait si forte en début d’année que les économistes de Goldman Sachs prédisaient une croissance de 4 % pour les États-Unis. Ce qui avait été une grande récession semblait vaincu par nos vaillants gouvernements du G20 et nos audacieux gouverneurs de banque centrale. Keynes était le penseur de la situation, merci à la relance budgétaire et à l’hétérodoxie monétaire !

Restaient des scories de la crise. D’abord, un déséquilibre maintenu entre les pays excédentaires (Chine, Allemagne) et les pays qui vivent au-dessus de leurs moyens (États-Unis, Grande-Bretagne, France…).

Ensuite, la fragilité des banques. Le système financier, cause de l’explosion de 2008, a sauvé sa peau. Les gouvernements n’ont pas osé, pas su, inventer une finance plus sage. Celle-ci, les mains libres, s’est empressée se revenir à ses salaires, à ses bonus, à ses excès d’avant. Rien n’a changé de ce point de vue.

Enfin, les dettes, qui ont été gonflées en moyenne de 20 points de PIB par ce cher Keynes.

Mais le monde était reparti. A bonne allure malgré les vents debout. Puis est venu l’été et ses orages. Retour à l’automne 2008, le navire est secoué dans tous les sens. Volatilité extrême, théories du complot et rumeurs invraisemblables, comme celle la semaine passée d’une perte par l’Allemagne de son AAA, qui a fait chuter l’indice CAC de 4 % ! Folies donc dans une ambiance de paniques et de paradoxes : quand les marchés et les économistes voient des tempêtes, les industriels regardent, eux, leurs carnets de commandes remplis… Comprenne qui pourra !

La conjoncture est si imprévisible que les économistes ont cru prudent d’introduire des probabilités dans leurs perspectives : « L’économie américaine a 40 % de chances de retomber en récession ». Rude métier ! Retenons qu’ils hésitent entre une retombée en zone négative et une croissance simplement rabaissée autour de 2 % aux États-Unis et entre 1 et 1,5 % en Europe. Leur baromètre s’est cassé.

Pourquoi ? Parce que avant l’été, l’économie mondiale ralentissait. Les mesures keynésiennes avaient évité le plongeon mais elles ne parvenaient pas à relancer vraiment une croissance autonome. En particulier aux États-Unis. C’est dans ce contexte que, soudain, les marchés ont découvert l’importance des dettes.

Naguère, ils avaient fermé les yeux sur l’endettement des États, y compris pour l’Italie (120 % du PIB) et le Japon (200 %). Là, c’est l’affolement. Et l’affolement de la pire espèce : l’affolement autoréalisateur. A craindre la Grèce, les investisseurs font monter ses taux d’intérêt, ce qui renchérit ladite dette jusqu’à effectivement la rendre insoutenable. Ils poussent tous les gouvernements dans des concours d’austérité, ce qui, concomitamment, plombe effectivement la croissance de toute l’Europe.

Pourquoi les marchés se focalisent-ils d’un coup sur les dettes ?

C’est là qu’est la gravité du mal : parce qu’ils ont perdu confiance dans la capacité des politiques à faire face à la mondialisation autrement que par les dettes. Depuis vingt ans, devant les nouvelles concurrences des pays émergents, le Japon, les États-Unis et l’Europe ont maintenu leur niveau de vie à crédit, par des dettes privées ou publiques. La crise aurait dû faire comprendre qu’il s’agissait d’une impasse. Mais non. Comme le Japon dans les années 1990, l’Occident a privilégié le sauvetage des banques et n’a, avec ses plans de relance, qu’ajouté de la dette à la dette, qu’acheté encore du temps.

Aux États-Unis à cause d’une divergence idéologique radicale entre républicains et démocrates, en Europe du fait de sa construction institutionnelle paralysante : le résultat est le même. Les marchés se sont forgé la conviction que la classe politique occidentale n’est pas capable d’affronter les réformes structurelles douloureuses. Les économies occidentales sont menacées d’une « japonisation » : croissance anémique, déclin accéléré face à la Chine, problèmes récurrents de dette et instabilité politique permanente (1).

La crise est revenue cet été en raison de ce divorce profond entre politique et économie. Ce qui a fait la force de l’Ouest depuis deux siècles était leur adéquation. Leur rupture fait sa faiblesse. La démocratie reste le meilleur système y compris pour promouvoir la croissance, aucun trader n’en doute ; un jour, bientôt, les marchés s’en prendront au manque de liberté dans les pays émergents. La Chine tremblera. En attendant, ils disent ici aux gouvernements que les dettes ne sont que la somme de leurs lâchetés accumulées. Il ne s’agit pas seulement d’austérité. Bien au-delà : la politique occidentale doit retrouver l’intelligence et le courage nécessaires pour inciter les acteurs économiques à retrouver confiance en elle.

(1) Interview de Mohamed el-Erian, PDG de Pimco, « Les Échos » du 25 août

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