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Officiellement, rien n’a changé : la Grèce remboursera son énorme dette publique, comme elle s’y est engagée et comme s’y sont engagés ses partenaires de la zone euro afin de rassurer les investisseurs. Mais, dans les coulisses, on commence à admettre que la tâche est impossible : il y a des limites à ce que les peuples peuvent endurer.

«Nous n’en pouvons plus», clamait ainsi mercredi à Athènes une banderole lors de la manifestation qui a accompagné la première grève générale de l’année 2011. «Nous sommes en train de mourir», avertissait une autre. Cette journée, marquée par un regain de mobilisation contre la cure de rigueur sans précédent que les Grecs subissent depuis un an, a fait ressurgir les craintes d’une déstabilisation politique.

Du coup une question revient en force au sein de l’Union : pour redonner de l’air à la Grèce, ne vaudrait-il pas mieux «restructurer» cette dette qui ne cesse de gonfler, c’est-à-dire l’alléger en présentant l’addition à ceux qui lui ont prêté inconsidérément de l’argent ?

«Tout le monde réfléchit à une restructuration, mais les autorités publiques ont peur de déclencher au sein de la zone euro un nouveau Lehman Brothers», affirme André Sapir, professeur d’économie à l’université libre de Bruxelles. Les chiffres grecs sont effrayants. En 2009, le déficit public a atteint 15,5% du PIB et la dette 127,8% du PIB. En 2011, le déficit sera ramené à 7,9%, mais la dette va continuer son envolée à 152,6% (environ 350 milliards d’euros). Un déficit en grande partie dû au paiement des intérêts de la dette : le déficit «primaire» ne sera en effet que de 1,5%.

En clair, l’austérité ne fait que commencer. Il faudra au moins vingt ans pour que la Grèce ramène sa dette publique à 60% du PIB, et encore, à condition de dégager un excédent budgétaire primaire annuel compris entre 8,4% et 14,5% du PIB, en fonction du scénario de croissance retenu, selon une étude que du centre de réflexion économique Bruegel.

Mission impossible selon ses auteurs : «Cela implique de consacrer entre un cinquième et un tiers des impôts au remboursement de la dette publique. Au cours des cinquante dernières années, aucun pays de l’OCDE, sauf la Norvège grâce à ses revenus pétroliers, n’a dégagé de façon permanente un surplus primaire de plus de 6% du PIB.» Même si la Grèce restaure sa compétitivité, même si la croissance est au rendez-vous, l’horizon paraît définitivement bouché.

La quasi-totalité des économistes estime désormais que la Grèce n’a plus seulement un problème de liquidités, c’est-à-dire d’accès aux marchés, mais un problème de solvabilité. Autrement dit, elle ne pourra pas rembourser. Ce n’est pas un hasard si les taux d’intérêt à dix ans exigés par les marchés sur la dette des pays périphériques de la zone euro (Grèce, Irlande, Portugal et Espagne) sont désormais aussi élevés qu’en avril 2010, juste avant que cette zone n’adopte un plan de sauvetage… Elle ne va pas pouvoir très longtemps tourner autour du pot grec.

Athènes est censée revenir sur les marchés à partir de juin 2013, à l’échéance du plan d’aide de 110 milliards d’euros. «Athènes devra emprunter entre 30 et 35 milliards d’euros par an sur les marchés», explique un trader basé à Londres : «En l’état actuel des finances publiques grecques, les investisseurs exigeront des taux insoutenables. Surtout que la zone euro a prévenu que toutes les obligations contractées après juin 2013 pourront être restructurées, ce qui accroît le risque. Autant dire que les marchés resteront fermés pour la Grèce après 2013.» Bref, la restructuration est inévitable afin de permettre au pays de ne pas mourir étouffé par la dette.

Déjà, il est acquis que les prêts du FMI et de l’UE ne seront pas remboursés avant 2020 voire 2025. Il faudra aussi que les pays de la zone euro diminuent les taux d’intérêt qu’ils exigent de la Grèce et qui sont trop élevés (autour de 6%). Mais les banques et assurances devront être mises à contribution : en clair, les actionnaires prendront une taule sérieuse et certains établissements devront être recapitalisés par de l’argent public, ce qui reviendra à faire supporter l’effort à l’ensemble des contribuables de la zone euro…

«Mais il ne faut pas se précipiter, prévient Laurence Boone, économiste en chef de Barclay’s Capital. Il faut d’abord que la Grèce poursuive ses efforts pour convaincre les marchés qu’elle a changé et que les erreurs du passé ne seront pas répétées.» Surtout, «il faut avoir une idée plus précise de l’exposition des banques à la dette grecque pour éviter un effet systémique, notamment sur les banques des autres pays périphériques, ajoute André Sapir. D’où l’importance des prochains stress tests [tests de résistance financière, ndlr] sous supervision européenne.»

Si la décision de restructurer la dette grecque est prise, il faudra ensuite croiser les doigts : «On ouvre la boite de Pandore, prévient un banquier londonien, C’est l’effondrement d’un monde. Si les marchés paniquent, d’autres pays périphériques de la zone euro peuvent à leur tour tomber.»

Libération

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