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Par Aude de Kerros – Graveur, peintre et essayiste

L’affaire de l’Hôtel de la Marine est significative de l’évolution de la politique culturelle française mais aussi de l’évolution des stratégies internationales en cette matière… De la machine de guerre à la machine à sous. Depuis 1945, Paris, capitale des arts, a subi toutes sortes de stratégies de mise à l’écart.

D’abord pour des raisons politiques jusqu’en 1989, car elle était un enjeu majeur de “la guerre froide culturelle“, puis dans les années qui ont suivi pour des raisons de marché. Après la chute du mur de Berlin et le krach financier de 1990 entraînant le marché de l’art, “l’art contemporain” (AC), a connu une nouvelle métamorphose.

Ne servant plus à écarter le “grand art” et sa référence européenne, il devint alors un produit financier sécurisé. Dans les années 1980, la spéculation s’était faite en empruntant pour acheter et en revendant très vite pour rembourser la banque et empocher le bénéfice. Cette spéculation avait été possible grâce à la fabrication véloce des cotes par les galeries et institutions fonctionnant en réseau.

De l’entente au trust. Vers le milieu des années 1990, les “très grands collectionneurs” trouvèrent la bonne formule. Ils organisèrent eux-mêmes les réseaux en circuits fermés : les candidats sont cooptés, ils doivent être entièrement propriétaires de l’œuvre et solidaires. Le “réseau” prend soin de réunir, tel un trust, tous les maillons de la chaîne de la consécration financière : galeries, institutions, médias, salles des ventes. Le marché de l’art ainsi conçu met à l’écart Paris. Même un collectionneur comme François Pinault ne collectionne pas les artistes français et n’installe pas son musée à Paris.

La Nébuleuse de l’art financier. Forts de cette stratégie, les réseaux ont résisté au krach financier de 2008. Cependant l’essentiel de ce marché se trouvant à New York, il est devenu malséant pour les grands collectionneurs d’AC, de trop parader au vu des victimes de la crise. Cette raison alliée à la mondialisation de “l’art financier” a inspiré aux “too big to fail” une nouvelle manière qui consiste à éclater le marché de l’art sur diverses places.

L’obscurité de ses mécanismes est ainsi préservée. New York et Londres en restent le centre, chaque grande foire est l’occasion exotique et mondaine de rencontres et de communication dans l’international. Shangaï, désormais dotée d’une zone franche, moins réglementée qu’à Bâle, sert au stockage, et échanges discrets hors frontières.

Quel rôle est dévolu à Paris ? Depuis 2008, Paris est de nouveau admis dans le concert du marché de l’AC. Pour preuve, les grandes galeries internationales et même new-yorkaises participent à la Foire internationale d’art contemporain (FIAC), s’installent dans la capitale… Gagosian à débarqué ! Les “très grands collectionneurs” affluent pour des “événements” de visibilité mondiale, comme le dîner de gala donné à Versailles par Pinault en l’honneur de Jeff Koons ou de Murakami.

Le ministère de la culture réalise son rêve ! L’État y contribue et s’emploie dans l’urgence à aligner sa réglementation du marché de l’art sur la législation anglo-saxonne. Ils ignorent que Paris n’est pas destiné à devenir pour autant une place du marché de l’AC et que la déréglementation en cours permet surtout à ces galeries de faire des affaires sur le deuxième marché de “l’art moderne“, notamment. Les artistes vivants français sont toujours hors jeu.

Car Paris est destiné à jouer un autre rôle : Paris sert à la visibilité de l’AC dans l’international, à sa cotation, à sa légitimation et c’est tout. En effet quand l’État français achète ces oeuvres d’AC, elles les sanctuarise dans les collections inaliénables. Lorsqu’il les expose au Louvre à Versailles, au Grand Palais, dans tout le grand patrimoine, il leur donne aura, vertu, virginité, légitimité et histoire.

New Deal culturel. Croyant au retour en gloire de Paris, nos fonctionnaires de la culture amplifient la mise à disposition du patrimoine et de l’argent du contribuable en faveur des réseaux. Pour atténuer les ambiguïtés de cette nouvelle politique, le ministre de la culture lance la formule très sociale : “La culture pour chacun !“, remisant Malraux et sa “Culture pour tous !” et Jack Lang et son “Pouponnons les artistes !“. Qu’est ce à dire ? Sinon que “créativity” et “multiculturalisme“, les deux piliers du soft power américain dans le monde, sont désormais les deux mamelles de la “culture“, en France comme en Amérique !

Cette semaine, l’enjeu majeur est le sort de l’Hôtel de la Marine dont les acteurs de l’AC rêvent de détenir l’usage afin d’en faire un lieu de divertissement pour des riches… Suspens ! L’État le mettra-t-il à leur disposition pour coter leurs valeurs sans valeur ? Ou bien jouera t-il son rôle régalien de conservation du patrimoine au service du public le plus large ?

Le Monde

(Merci à Léonidas)

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