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Les États-Unis n’ont cessé de renforcer leur frontière au sud du pays, mais c’est la récession qui a fait chuter l’immigration illégale. San Diego est l’un des hauts lieux du passage clandestin. C’est une zone de collines arides, faites de caillasse et de sable, parsemée de courts arbustes, et où les scorpions et les serpents sont légion. D’un côté la Californie, de l’autre le Mexique. Entre les deux, un mur de métal marque la frontière.

On compte environ 33 millions d’immigrés aux États-Unis, dont 12 millions seraient sans papiers. Près d’un million auraient quitté le pays entre 2008 et 2009, sous l’effet de la crise économique et du durcissement des contrôles, ce qui ramène leur nombre à 10,8 millions en 2010, selon un récent rapport du Homeland Security.

Pendant des années, près de 45 % des immigrants venus du Sud sont passés par San Diego, une ville aujourd’hui cossue, qui fait face à Tijuana la dangereuse, au Mexique. Mais depuis la signature de l’accord de libre-échange nord-américain, en 1994, les États-Unis ont entrepris de sceller une partie de la frontière avec le Mexique. En récupérant des plaques de métal sur lesquelles se posaient des hélicoptères pendant la guerre du Vietnam puis lors de l’opération « Desert Storm » (première guerre en Iraq), un premier mur a été construit.

Pas très élevé, franchi en quelques secondes à l’aide d’une échelle à corde, il est plus symbolique qu’efficace sur les 65 kilomètres où il a été édifié. L’administration de George W. Bush a entrepris de consolider la frontière en faisant ériger à quelques mètres du premier mur une seconde barrière métallique, plus moderne et plus élevée, parfois couronnée de fils électriques et qui s’étend sur 20 kilomètres. Ca ne l’empêche pas d’être régulièrement cisaillée -des rectangles juste assez larges pour faire passer quelqu’un…

Pour être aussitôt raccommodée par une équipe spécialisée de la patrouille des frontières. « Ils nous surveillent en permanence, ils ont des éclaireurs, ils se guident à l’aide de points lumineux », constate Jerry Conlin, un agent de la « Border Patrol ». Il faut aussi compter avec les tunnels, creusés sous les deux murs et le plus souvent financés par les narcotrafiquants qui cherchent à écouler discrètement cannabis et cocaïne. Depuis 1990, une quarantaine de tunnels ont été repérés, dont deux en novembre dernier.

Les moyens des patrouilles des frontières ont pourtant été considérablement renforcés – y compris sous l’administration Obama -avec 20.500 agents (contre 10.000 en 2004) et un budget annuel d’environ 11 milliards de dollars. Dans la région de San Diego, ils étaient 1.500 patrouilleurs en 2005 et sont 2.600 aujourd’hui, qui se déplacent en 4 x 4, en quad, à cheval, en hélicoptère ou même à vélo. « Notre objectif l’an dernier était d’avoir un contrôle opérationnel de la frontière sur 82 kilomètres, cette année nous voulons maîtriser l’environnement maritime », explique Jerry Conlin.

Sur la totalité de la population immigrée, une personne sur quatre vient du Mexique et une sur deux d’Amérique latine. L’instabilité économique dans leur pays, la volonté de mieux subvenir aux besoins de leurs proches (25 milliards de dollars sont envoyés au Mexique chaque année) ou le désir de se rapprocher de leur famille déjà exilée sont autant de raisons de franchir le pas.

Environ 60 % des immigrants illégaux sont arrivés aux États-Unis avec un visa qui a ensuite expiré. Les autres ont le plus souvent tenté le passage de la frontière avec un « coyote », un passeur qui leur prend au minimum 4.000 dollars pour trois tentatives. « Les murs ont eu pour effet de rediriger les flux de clandestins vers la partie la plus à l’est du comté de San Diego et vers l’Arizona », constate David Shirk, professeur de sciences politiques à l’université de San Diego.

Les immigrants ont dû prendre des risques plus importants dans ces régions désertiques, et le nombre de décès sur la frontière Sud a augmenté pour atteindre 400 personnes par an depuis cinq ans, principalement en raison de leur exposition au climat (déshydratation, hypothermie), ou parce qu’ils meurent étouffés dans des compartiments à bestiaux, ou sont renversés sur la route par des voitures… D’où les actions d’associations comme « Border Angels » qui créent des postes de ravitaillement, ou comme celle qui vient ramasser et incinérer les corps de ceux qui sont décédés.

2010 a toutefois marqué un changement. Pour la première fois l’an dernier, plus de Mexicains sont retournés au Mexique qu’ils ne l’ont quitté. Davantage un effet de la récession économique aux Etats-Unis que du meilleur contrôle des frontières. Car les travailleurs illégaux sont un formidable réservoir de main-d’oeuvre à bas coût pour les entreprises du cru, qui les exploitent sans vergogne. En particulier dans les services (restauration, hôtellerie), l’agriculture, mais surtout dans le bâtiment. La crise du marché de l’immobilier a d’ailleurs eu un effet dramatique sur les travailleurs immigrés (clandestins ou pas), qui ne trouvent plus d’emploi. Depuis la récession, beaucoup sont condamnés à chercher de l’ouvrage au jour le jour.

Dans la banlieue de San Diego, un groupe d’hommes fait le pied de grue tous les jours à l’entrée du parking d’un grand magasin de bricolage. « On peut gagner 100 dollars par jour, ça ira jusqu’à 250 si c’est du travail de spécialiste », explique Manuel. Ils espèrent qu’on les embauchera pour la journée – travaux de terrassement, carrelage, peinture… tout est bon. Parfois des « minute men » (une sorte de milice qui s’oppose à l’immigration clandestine) viennent les harceler et prendre en photo ceux qui chercheraient à les employer.

« L’immigration clandestine est devenue une sorte de subvention directe pour les entreprises tandis que les contribuables paient pour l’éducation, le système judiciaire et la santé », se scandalise Ira Mehlman, le porte-parole de la Federation for American Immigration Reform (FAIR), une association résolue à fermer les frontières, et qui ne tolère qu’une immigration très sélective. Elle veut s’en prendre directement aux employeurs peu scrupuleux, éliminer les services non essentiels, obliger les gouvernements locaux à coopérer davantage avec les services d’immigration.

Le débat, dans le pays, est extrêmement tendu, d’autant que l’immigration clandestine progresse hors du sud-ouest des Etats-Unis vers des Etats comme l’Idaho, la Pennsylvanie ou le Kansas. Entre ceux qui pensent « qu’il faut créer une voie vers la citoyenneté pour ceux qui vivent aux États-Unis », comme Jon Rodney, porte-parole du California Immigrant Policy Center (CIPC), et ceux qui, comme FAIR, sont hostiles à toute idée d’amnistie et militent ouvertement pour le rapatriement des sans-papiers, le fossé est immense.

La dernière tentative au Congrès faite avant Noël – le passage d’un texte dénommé « Dream Act » qui aurait donné aux enfants entrés illégalement aux États-Unis la possibilité d’étudier à l’université ou de s’enrôler dans l’armée et d’accéder à la citoyenneté -a avorté. Mais pour Barack Obama, la question de l’immigration illégale reste une priorité.

Le 26 janvier dernier, à l’occasion de son discours annuel sur l’Etat de l’Union, il a affirmé être « préparé à travailler avec les républicains et les démocrates pour protéger nos frontières, appliquer nos lois et attaquer la question des millions de travailleurs sans papiers qui vivent aujourd’hui dans l’ombre ». Les plus optimistes veulent bien y croire pour son éventuel deuxième mandat, mais les démocrates n’ont tout simplement pas les voix pour y parvenir avant 2012. « Le sujet est trop polémique pour qu’Obama puisse engager une réforme maintenant », observe David Shirk.

L’enjeu politique est énorme et explique en partie la paralysie du Congrès. « Les démocrates désirent fortement ajouter les nouveaux immigrés à leur base, mais les républicains voient d’un très mauvais oeil 12 millions d’immigrés obtenir la citoyenneté et voter pour le clan opposé ! » résume le professeur. Du coup, les républicains préfèrent focaliser leur discours sur la protection de la frontière. « Ils ont tort. Les “latinos” sont catholiques, socialement conservateurs, et il y a toutes les chances pour que leurs votes se partagent équitablement entre les deux partis », estime-t-il.

L’incapacité à gérer cette question au niveau fédéral a poussé certains États à essayer d’agir à leur niveau. L’Arizona est chef de file dans cette démarche car, après San Diego, la seconde porte d’entrée pour l’immigration illégale se trouve dans la région de Tucson.

L’État du Grand Canyon a suscité un tollé l’an passé quand son assemblée a voté une loi demandant à la police de contrôler le statut de tout individu qui suscitait une « suspicion raisonnable ». Il vient de faire plus fort en introduisant, fin janvier, un texte qui veut interdire d’accorder la citoyenneté américaine à un enfant né en Arizona de parents sans papiers. C’est une remise en cause directe du 14 e amendement de la Constitution, écrit spécialement en 1868 pour que les esclaves nés en Amérique obtiennent la citoyenneté américaine.

L’Arizona pourrait faire des émules. D’autres États, comme le Nebraska, le Texas, le Missouri, l’Idaho et la Pennsylvannie ont adopté des législations qui punissent les employeurs, les loueurs d’habitations résidentielles ou encore les écoles qui acceptent des travailleurs illégaux ou leurs enfants. Finalement, plus que l’activisme d’associations des droits de l’homme, ce genre d’initiatives – qui sont combattues par les associations et parfois même le Département de la Justice -finiront peut-être par contraindre, par ricochet, le Congrès à agir… car les tribunaux ne manqueront pas de rappeler que l’immigration est d’abord une affaire fédérale.

Les Échos

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