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Pol et Ronan Datausse, Bertrand et Vincent Mathieu publient un essai décapant sur les défis que notre pays doit surmonter. Âgés de 25 à 32 ans, les auteurs de ce livre sont de jeunes actifs qui dénoncent avec amertume cette frange de notre société qui se contente de peu, envisageant davantage la France comme une mère qui est d’abord là pour les servir. L’on regrettera cependant que dans certains chapitres de cet essai, écrit dans un style vif et clair, la gauche en prenne pour son grade sans que la pareille se dessine pour la droite. Ceci s’explique sûrement par le fait que deux des quatre auteurs appartiennent à l’UMP. Bien qu’il faille dénoncer haut et fort certaines aberrations de la gauche française, la droite est pourtant loin d’être sans défaut…

La dictature de la pensée unique : Alzheimer frappe la société française, chapitre 2 de “La France ?!

La pensée unique est une maladie qui affecte toutes les sphères de la société française. De ce fait, il est difficile d’en donner une définition en quelques mots. Essayons tout de même de nous arrêter quelques instants sur ses origines, sa raison d’être, sa diffusion et les dégâts qu’elle engendre.

Origine et propagation

Mai 1968, les jeunes sont dans la rue. Menées par des leaders d’opinion qui profitent de la fougue, de l’insouciance et de la naïveté d’une jeunesse née après guerre et qui n’a jamais été confrontée aux difficultés de ses aînés, les opérations prennent de court toute la société. Les slogans fusent sur les banderoles et les murs et témoignent de l’état d’esprit qui anime ces étudiants : « Cours, camarade, le vieux monde est derrière toi », « Il est interdit d’interdire », « Sous les pavés, la plage », « Jouissez sans entraves », « CRS = SS », « Le patron a besoin de toi, tu n’as pas besoin de lui », « Ne travaillez jamais », « Ne vous emmerdez plus ! Emmerdez les autres », « Prenez vos désirs pour la réalité », « Tout, tout de suite », etc.

Pour cette jeunesse gâtée qui profite pleinement des « Trente Glorieuses » et de l’idéologie pacifiste qui règne en France à l’époque, tout ce qui fait référence à l’autorité, à la morale, à l’ordre établi et à l’effort doit être piétiné. Tout doit être accessible, immédiatement et sans entrave. C’est l’idéologie de la facilité qui manifeste.

Le monde politique est également décontenancé. Le 27 avril 1969, Charles de Gaulle prend prétexte de l’échec du référendum sur la régionalisation pour démissionner de la présidence de la République française. Lui, l’idéaliste, qui s’est battu avec ardeur pour la grandeur de la France, ne se reconnaît plus dans cette société désossée dont la jeunesse ne revendique plus que le droit à vivre comme bon lui semble, sans aucune règle ni contrainte.

Puis, les étudiants sont entrés dans le monde professionnel, portant leurs idéaux et leur manière de vivre et les diffusant sur tous les fronts : médias, école, justice, syndicats, etc. Celui qui n’accepte pas la nouvelle donne est rabroué par la « norme sociale ». Par analogie, tout ce qui se réfère à l’ordre « ancien » est discrédité : patrimoine spirituel, moral, culturel et intellectuel. La pensée unique trouve dans cette opposition arbitraire des genres la raison d’être de sa propagation. La facilité étant moins contraignante que l’effort, la doctrine trouve rapidement ses adeptes. Celle-ci trouve sa légitimité en s’appuyant sur de grandes « valeurs » : l’hédonisme, la tolérance, la liberté ou encore la solidarité. Des concepts qu’il est impossible de contredire de manière catégorique tant ils se réfèrent à ce que devrait être un monde candide et parfait. Mais des principes également suffisamment vagues pour y intégrer n’importe quoi. La méthode est infaillible et explique pourquoi les sceptiques du départ rejoignent plus ou moins rapidement les rangs.

Les adeptes sont de trois sortes :

– des idéalistes au coeur angélique, qui ont perdu tout contact avec la réalité ou préfèrent la fuir ;

– des égoïstes qui pensent à leur confort personnel et se donnent bonne conscience en se réfugiant derrière une philosophie des bons sentiments qui les rassure et les protège, au risque d’être catastrophique pour la société ;

– et enfin, ceux qui ont la paresse de penser et qui acceptent les choses dites pour autant que beaucoup les répètent. Cela leur suffit pour y accorder leur crédit.

Ouvrons une parenthèse avec un exemple de l’hypocrisie de la pensée unique : les bobos, bien connus aussi sous la formule « ayant la bourse à droite et le coeur à gauche ». Porte-drapeaux et détestable incarnation de l’incohérence, de l’hypocrisie et du pharisaïsme, de cette dictature de la pensée, cette frange de la population, beaucoup plus bourgeoise que bohème, s’invente des combats virtuels, en prônant des idées et en canonisant ses discours avec la passion, l’inconvenance et la désinvolture spécifique au parisianisme. Non que « capital » soit incompatible avec « social », bien au contraire, mais les bobos sont surprenants pour deux raisons. La première étant que pour la plupart, ils ne savent pas de quoi ils parlent, n’ayant jamais mis les pieds sur des terrains (physiques comme intellectuels) qu’ils défendent. La deuxième parce qu’ils ne souffriront jamais des conséquences des maux qu’ils dénoncent. En bref, les causes qu’ils défendent n’ont jamais été appréhendées par les acteurs eux-mêmes.

Sous leur air snob d’enfant gâté au visage poupin, ce sont les ambassadeurs d’une gauche dénuée de toute noblesse, servant à pleine louche leur soupe idéologique périmée. Je n’ai, quant à moi, dans le caviar, jamais trouvé ni indigence, ni gueuserie. L’alimentation équilibrée est la condition sine qua non d’une bonne santé, il en est de même avec le vote. La bonne santé de la démocratie se vérifie à l’hétérogénéité des courants de pensée. Mais de constater l’engouement pour la « bobo attitude » au point d’en être devenu un modèle respectable pour nombre de concitoyens a de quoi interpeller. À se demander si ces électeurs votent plus par commodité que par conviction ?

Dans un pays où les valeurs de gauche ont la cote, il est de bon ton d’être dans la norme sociale. Adepte du double jeu, le bobo est incapable de s’assumer et d’être en accord avec sa personne. La réussite étant mal, voire pas acceptée en France, pourquoi alors ne pas jouer en guise de deuxième rôle celui de quémandeur ? Sans même se donner la peine de brosser son portrait chinois ou de savoir ce qu’il pense au travers d’un questionnaire de Proust, on constate que le registre du bobo est celui des fausses vérités énoncées péremptoirement et démenties par les faits.

Bien éloignés de la bohème et son vagabondage au jour le jour en marge du conformisme social, ces ex-soixante-huitards vivent paisiblement dans le Quartier Latin ou le Marais à Paris, arrondissements où le prix du mètre carré oscille entre 9 000 euros et 12 000 euros. Un train de vie qui en tout cas ne dépareille pas de celui d’un bourgeois de très bonne famille. Seul bémol et non des moindres, leur prolifération s’arrête non pas aux bornes du périphérique intérieur mais aux quelques arrondissements sélects de la capitale. Reconnaissons qu’il est plus crédible de dénoncer les inégalités sociales à deux pas du boulevard Saint-Germain que depuis un quartier populaire. Le vernis social n’a pas de prix !

Ne soyons pas surpris de retrouver en famille ces mêmes « bourgeois refoulés » dans les meetings et diverses manifestations mais surtout et avant tout dans nos universités. Tel père, tel fils, la bobo mania – Graal du combat pour la justice sociale – ne semble pas, pour ces étudiants, un simple rite initiatique qu’il faut traverser dans leur crise d’adolescence, mais un mode de pensée à perpétuer de génération en génération. Bobo : ni bourgeois bohémien, ni bourgeois bohème, simplement bourgeois bourgeois. Fin de la parenthèse.

Nul besoin de s’attarder plus longtemps pour comprendre les risques d’une doctrine fondée sur les passions et la naïveté plus que sur la raison. Les valeurs qu’elle prétend défendre sont suffisamment vagues pour inciter la France à se culpabiliser en raison de son histoire, pour favoriser le multiculturalisme à tout prix, pour traquer l’élitisme et pour combattre le religieux.

Première obsession : créer des amalgames et des raccourcis historiques pour inciter la France à se culpabiliser, telle est l’une des principales armes de destruction massive de la police de la pensée. Dans un souci d’éducation des citoyens, on utilise l’histoire de France et on la revoit selon les besoins du moment. Concrètement, il s’agit de déformer les événements ou de les sortir de leur contexte. La réalité historique n’est dès lors plus que facultative.

Les exemples ne manquent pas, en voilà quelques échantillons :

– Croisades = prosélytisme : l’amalgame est tentant et facile, malheureusement il occulte le fait que les croisades ont eu lieu en raison et à la suite d’un djihad, c’est-à-dire une conquête et une invasion d’Arabes nouvellement convertis à l’islam. Aujourd’hui, alors que la France continue à s’excuser pour ce que le catholicisme a fait, l’islam n’a jamais été remis en cause ;

– La colonisation : le sujet est traité de façon binaire – tout blanc d’un côté et tout noir de l’autre. Le dégoût engendré par cette falsification de l’histoire justifie que les ressortissants des anciennes colonies françaises fraîchement arrivés sur le territoire exigent des compensations pour les souffrances qu’auraient connues leurs aînés. Mais celui qui étudie la question avec discernement admettra que cette page de notre histoire est plus nuancée et qu’on ne peut occulter tout ce que la France colonisatrice a apporté aux pays dits « opprimés » ;

– L’esclavage : la France érige des monuments et des musées condamnant la traite négrière à laquelle elle a participé. Certes cette pratique est condamnable, mais elle doit être resituée dans le contexte de l’époque. Peu relèvent par ailleurs que cette pratique est autorisée par la loi coranique et qu’elle est encore pratiquée aujourd’hui par des musulmans au Soudan ou au Tchad (ce qui ne constitue pas une justification pour la France pour autant) ;

– Les aberrations intellectuelles et la confusion des genres ne semblent en rien gêner ceux qui les dictent. On n’en est plus à une comparaison près entre Napoléon et Hitler, Staline ou Pol-Pot.

En réduisant l’histoire de France à une multitude de pages noires, en sortant les événements de leur contexte, en établissant des comparaisons et des amalgames alarmistes et en y ajoutant un aspect émotionnel, de soi-disant esprits clairvoyants façonnent une image de notre pays insultante pour la réalité de notre histoire. De la sorte, outre la consolidation de l’inculture de masse sur ce qui s’est effectivement passé, on bêtifie la mémoire de notre pays de sorte que chacun puisse invoquer des souffrances dont la France serait responsable pour exiger des réparations. Quel est le but de cette auto flagellation si ce n’est d’affaiblir le pays et de faire en sorte que les Français aient honte de leur histoire jusqu’à préférer s’y sentir étrangers ?

Qu’est ce qui pousse ces personnes à traîner sans cesse dans la boue notre histoire, à l’humilier voire à la sacrifier ? Qu’est ce qui obsède ces hommes à vouloir nous faire oublier que nous appartenons à un grand pays, l’un des plus anciens États, à l’histoire et au patrimoine exceptionnels ? Il est temps d’en finir avec la repentance perpétuelle. On a le sentiment que le seul motif de fierté des Français, c’est la protection sociale. Comme le disait Alain Finkielkraut : « On n’intégrera jamais des gens qui n’aiment pas la France dans une France qui ne s’aime pas. » (1) .

Deuxième obsession : le multiculturalisme, énoncé au nom de l’égalité et de la solidarité. L’image de la France étant bafouée, toute personne fière de son pays devient suspecte et complice de tous ses crimes réels ou fictifs. Le patriotisme n’a plus sa place, on le remplace par la citoyenneté, une notion qui jette au placard la notion de lien avec une terre parce qu’on y est né ou parce qu’on y a été accueilli. Par là même, l’histoire de France en tant que mémoire partagée et assumée n’a plus sa place ; celle-ci est au contraire instrumentalisée en histoire contre la France.

Chacun, au nom de la liberté, se revendique d’une ou plusieurs communautés, ayant chacune sa culture et devant être respectée en tant que telle, en France. Notre pays n’est plus une nation mais une expression géographique ou idéologique. L’histoire de France en tant que communauté de destins devient l’histoire de chacun en France. La filiation culturelle à une histoire commune laisse place à un droit à être Français et à bénéficier de la protection sociale et de tout autre artifice visant le confort de chacun. La liberté et la solidarité justifient que chacun se détache de son histoire. Ce qui compte n’est pas de permettre aux citoyens de bien vivre en société, mais de mettre au contraire la société au service du citoyen.

Troisième obsession : traquer l’élitisme (par le relativisme). Au nom de l’égalité, l’élitisme est également combattu avec ardeur. L’ancienne culture bourgeoise étant à abattre sous toutes ses formes, la chasse aux élites fait partie intégrante du processus d’affaiblissement. Cela se fait par exemple en mettant fin au processus de sélection au mérite. Supprimer les matières exigeantes comme la culture générale et les remplacer par des critères sociaux tels que les quotas en est un exemple d’actualité. Dans le domaine culturel ou artistique, cela revient à mettre au même niveau un grand auteur classique avec un arriviste. Dans l’éducation ou les organes de pouvoir, cela revient à discréditer l’autorité et les règles établies, à remettre en cause celui qui exerce le pouvoir, qui devient par définition abusif. Peu importe la confusion intellectuelle, la sous-éducation, la perte de repères, le recul de la réflexion et les frustrations engendrées, l’obsession égalitariste justifie tous les excès.

Quatrième obsession : la laïcité. La laïcité justifie également d’écrémer le religieux de la sphère publique, particulièrement le christianisme qui est soi-disant trop ancré dans l’héritage national. Ainsi, la loi qui visait à interdire le voile islamique à l’école s’est transformée en loi interdisant tous les « signes religieux ostensibles ».

À ce stade de la réflexion, le lecteur aura compris toute l’hypocrisie qui « gangrène » cette fausse philosophie humaniste.

En effet, comment peut-on parler de valeurs lorsque celles qui sont défendues ne sont en réalité qu’un prétexte pour imposer un prêt-à-penser gauchiste et tiers-mondiste à la pensée arrêtée, gavée à l’émotion et dont le seul but est le consensus, la compassion et l’accommodation ? Les droits au respect, à la différence, à la consommation engendrent chez le citoyen une attitude qui nous fait passer pour un peuple naïf et capricieux aux yeux du reste du monde. Est-ce respectueux d’un pays comme la France et des Français ?

Tolérance ? Le système démocratique est fondé sur la diversité des opinions et des idées. La pensée unique, elle, définit un mode de pensée, un conformisme intellectuel. Elle est ensuite administrée avec le fanatisme des talibans et ceux qui sont pris en flagrant délit de mauvaises pensées sont jetés du côté de l’enfer moral. Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage, dit l’adage, alors à défaut de combattre sur le terrain des idées, on préfère salir l’adversaire. Comment parler de tolérance quand celui qui n’entre pas dans le moule du conformisme est rejeté ?

Liberté ? En faisant table rase de notre passé et de nos traditions, en incitant les citoyens à se nourrir davantage des « fast food » culturels au détriment des classiques, en discréditant l’autorité, on engendre une perte de repères et une inculture de masse qui coupent le citoyen des facultés émancipatrices nécessaires pour juger avec discernement et clairvoyance. « Je proclame à haute voix la liberté de pensée et que périsse celui qui ne pense pas comme moi. », disait Voltaire. Cette phrase résume bien l’idéologie de la pensée unique, promue par un pseudo-humanisme, mais contrôlée avec ardeur par la police de la pensée. « L’idéologie, c’est ce qui pense à votre place. » disait Jean-François Revel. Peut-on encore parler de liberté quand il s’agit de canaliser la pensée des citoyens dans un périmètre d’idées au sein duquel ils peuvent ensuite s’ébattre ?

Le résultat de ces vices savamment dissimulés ? Un épais abrutissement des neurones, un clonage intellectuel de masse et un bêlement de moutons qui répètent en continu les mêmes bêtises au nom de valeurs qu’ils défendent mais dont ils sont en fait prisonniers. Ainsi, enchaînés au conformisme, décervelés par un système qui pense à leur place, asphyxiés intellectuellement par le relativisme, les citoyens n’ont plus les moyens de devenir des adultes autonomes et responsables. Je rejoins ici ce que disait Isaac Asimov dans son ouvrage “Les cavernes d’acier” (2) : « Souvent les gens prennent leurs propres lacunes pour celles de la société qui les entoure, et cherchent à réformer ladite société parce qu’ils sont incapables de se réformer eux-mêmes ». La tâche incombe aux politiques ; l’État remplace l’initiative personnelle. Il doit penser, juger, discerner, rassurer et porter les fardeaux de chacun. Les droits de l’homme eux-mêmes sont pervertis par ce système. Ils n’ont plus pour but de permettre à l’individu de vivre en société, mais de mettre cette dernière au service de l’individu. C’est une véritable régression vers l’infantilisme, une capitulation morale et intellectuelle qui fait primer l’émotion sur la raison et engendre des dégâts à la hauteur de l’aveuglement des citoyens.

Tiédeur et fébrilité, voilà deux caractéristiques de notre société engendrées par la pensée unique. Je préfère la culture et le courage, que Malraux considérait comme nécessaires à la jeunesse afin de devenir des adultes et non de grands enfants. Certes, en disant cela, je ne prétends pas être équitable, compréhensif, ou solidaire. Ces soi-disant vertus, proclamées certes comme des vérités universelles, ne sont en fait rien de plus que des opinions passagères. La médiocrité ou la tiédeur ne peuvent plus être érigées en modèle et je ne tiens pas moi-même à me ranger derrière la règle pour défendre mes postulats. Les arguments plein de niaiseries, répétées jusqu’à l’indigestion et devenus dogmes indiscutables ont fait de nous un peuple affaibli dans un monde lui, toujours plus compétitif.

Les Français souffrent aujourd’hui d’une intoxication idéologique qui s’est immiscée tout d’abord par rébellion, puis par méconnaissance. Elle a engendré une société du renoncement en grande partie responsable de la crise qu’elle traverse et nous avec elle. Il est désormais temps de revenir au bon sens et au courage !

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1. Le Monde, 27-28 novembre 2005

2. Les cavernes d’acier, Éditions J’ai lu, 2002

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La France ?! – Regards croisés de quatre jeunes sur leur pays, de Pol et Ronan Datausse, Bertrand et Vincent Mathieu est édité aux éditions Persée (235 pages, 18,50 €).

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