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Tribune libre de Paysan Savoyard

Nous terminons avec cette tribune l’examen des différentes formes que prend le laxisme des pouvoirs publics en matière de délinquance.

Il n’y a aucun suivi de la plupart des condamnés

L’appareil pénal a pour fonction de condamner les auteurs d’actes délictueux. On pourrait considérer qu’il lui incombe également, pour éviter la récidive, de se préoccuper des délinquants une fois les peines effectuées. Or il n’en est rien dans la grande majorité des cas : il n’y a pas de suivi de la plupart des condamnés.

La loi prévoit, depuis 1998, la mise en place d’un suivi socio-judiciaire. Réservé d’abord aux condamnés ayant commis des délits ou des crimes à caractère sexuel, il peut être appliqué également, depuis une loi de 2005, aux auteurs de meurtres et d’enlèvement et séquestration.

Le suivi peut consister, à l’appréciation du juge, en différentes mesures dont les principales sont les suivantes : obligation de soin (pour les délinquants sexuels) ; obligation de trouver un travail ; interdiction de se rendre dans certains lieux ; obligation de se présenter régulièrement dans un commissariat ; obligation de justifier régulièrement ses revenus. La durée du suivi peut aller jusqu’à 10 ans pour un délit, jusqu’à 30 ans pour un crime (et même être sans limitation de durée pour les personnes condamnées à perpétuité).

En pratique les juges décident la mise en place de ce suivi pour environ un millier de condamnés par an.

En outre (art. 723-29 du Code de procédure pénale), le juge peut décider de placer le condamné après sa libération de prison sous surveillance judiciaire. La surveillance judiciaire consiste en le même type de mesures que le suivi socio- judiciaire (obligation de soins…). Mais la durée de cette surveillance est fortement limitée (c’est la différence avec le suivi socio-judiciaire) : elle ne peut excéder la durée des réductions de peine dont le condamné a bénéficié. Cette surveillance ne peut concerner que les condamnés à une peine privative de liberté égale ou supérieure à dix ans, pour un crime ou un délit pour lequel le suivi socio-judiciaire est lui-même encouru.

Une loi de 2008 a prévu, d’autre part, que le juge pourra désormais décider de maintenir en rétention de sûreté au-delà de la fin de leur peine les personnes qui présentent une dangerosité particulière. Cette mesure va dans le bon sens : mais elle ne concerne que les criminels les plus dangereux (le ministère de la justice a indiqué que la rétention de sûreté pourrait concerner une dizaine de personnes parmi celles détenues actuellement).

Autrement dit le champ d’application du suivi socio-judiciaire, de la surveillance judiciaire et de la rétention de sûreté est fortement limité : il ne concerne que les auteurs des crimes les plus graves. Pour les infractions d’une autre nature, la loi ne prévoit pas (et donc n’autorise pas) la mise en place d’un suivi socio-judiciaire ni d’une surveillance quelconque : c’est ainsi que, par exemple, les auteurs d’actes de cambriolage, de vol à main armée ou d’agression ne peuvent se voir appliquer aucune mesure de suivi ou de surveillance. En dehors, donc, des délinquants sexuels et des criminels les plus dangereux, tous les autres condamnés recouvrent, une fois leur peine effectuée, l’intégralité de leurs droits, la pleine liberté d’aller et venir et ils ne subissent aucun contrôle.

Cette situation est préjudiciable d’abord au condamné lui-même :

Une fois qu’il a purgé sa condamnation, le condamné est en effet livré à lui-même et ne bénéficie d’aucun soutien véritable.

Différentes mesures, évoquées dans le précédent article, ont pour objectif de ménager une transition de façon à faciliter le retour du condamné à la vie ordinaire (mesures de libération conditionnelle ; mesures de semi liberté). Pendant la durée de la période de libération conditionnelle ou de semi liberté, le condamné qui en bénéficie peut recevoir l’aide d’un conseiller de probation pour réussir sa réinsertion. Malheureusement, faute de moyens budgétaires suffisants, ces conseillers sont peu nombreux et la plupart des condamnés restent en dehors du dispositif.

Une fois la peine purgée, les condamnés ne bénéficient plus d’aucune aide à la réinsertion (il existe certes des associations d’aide aux anciens détenus, subventionnées par les pouvoirs publics : mais les condamnés ne font appel à elles que s’ils le souhaitent).

Dans ces conditions, l’objectif humaniste qui consiste à laisser au condamné des chances de se réinsérer reste le plus souvent théorique. Au moment crucial – celui de la fin de la peine – le condamné est laissé à lui-même. C’est ainsi qu’un certain nombre de personnes sont remises en liberté à l’issue d’une peine de prison alors qu’elles n’ont ni travail ni logement : elles peuvent dès lors être fortement tentées de commettre un nouvel acte délinquant afin de se procurer des ressources.

Même lorsque des actions de réinsertion ont été conduites pendant la durée de l’emprisonnement ou de l’aménagement de peine, les chances de réinsertion des personnes condamnées sont souvent faibles car les personnes concernées sont dans la plupart des cas, au moment de leur condamnation, déjà gravement fragilisées, désocialisées ou engagées dans la délinquance. Pour la plupart des condamnés, il est trop tard pour que des actions de réinsertion soient efficaces. Il aurait fallu agir bien avant (nous décrirons dans le prochain article la proposition de réforme que nous pensons souhaitable concernant cette question).

L’absence de suivi est préjudiciable d’autre part à l’objectif de protection de la société :

Les personnes condamnées sont, une fois leur peine purgée, libérées sans être soumises à un contrôle. Dès lors, si elles versent de nouveau dans la délinquance, les services judiciaires et policiers devront déployer des efforts importants et aléatoires pour les appréhender et établir leur culpabilité.

C’est ainsi qu’aujourd’hui des délinquants confirmés peuvent, après leur libération, exhiber en toute impunité un train de vie élevé sans que personne ne songe (et ne puisse légalement songer) à leur demander quelles sont leurs sources de revenus.

Les « humanistes » vont nous répondre sur ce point que l’administration fiscale peut d’ores et déjà opérer des vérifications fondées sur les éléments de train de vie. Cet argument ne tient pas, nous semble-t-il : ces vérifications, qui peuvent concerner tout contribuable, sont trop superficielles et trop peu fréquentes pour constituer une gêne et une menace sérieuses pour les membres du milieu du banditisme.

De même l’actuel gouvernement fera valoir qu’il a intégré des agents du fisc dans les groupes d’intervention régionale GIR, destinés à lutter contre la « criminalité souterraine » : là encore, il nous semble que les interventions ponctuelles des GIR, décidées le plus souvent pour des médiatiques raisons, ne sont pas à l’échelle de la criminalité telle qu’elle se développe.


Délibérément laxiste, le discours dominant présente les délinquants comme des victimes

La classe dirigeante a adopté depuis une quarantaine d’années un discours de bienveillance et de compréhension envers les délinquants, qui sont présentés le plus souvent comme des victimes (du chômage, de la ghettoïsation, des discriminations, du racisme…).

Ce discours nous paraît profondément faux (pour ne pas alourdir encore cette série de tribunes, nous reporterons les développements concernant ce point à un futur article).

Contentons-nous pour l’heure d’indiquer que ce discours de complaisance est désastreux quant à ses effets. Il constitue un puissant encouragement à la délinquance puisqu’on déclare par avance aux délinquants pris dans leur ensemble que leur comportement est compréhensible, voire excusable. Les délinquants ont d’avance la certitude qu’ils seront sinon soutenus, du moins compris et dans une certaine mesure excusés par la classe dominante : cette banalisation et cette forme de validation morale de la délinquance exercent plus que probablement un effet incitatif. La banalisation se combine chez les délinquants avec la pleine conscience du fait que les pouvoirs publics ont fait le choix du laxisme : là encore cela ne peut qu’encourager le passage à l’acte.


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Donnons une conclusion à la présente tribune et aux deux précédentes, toutes consacrées aux différentes formes que prend le laxisme des pouvoirs publics.

Insistons sur ce premier point, quitte à nous répéter. Le laxisme en vigueur débouche sur cet état de fait, dont l’opinion n’a pas nécessairement conscience : la grande majorité des délinquants sont tout simplement… en liberté, et vaquent à leurs occupations.

Comme on l’a vu dans le cadre des articles précédents, la plupart des délinquants sont en liberté parce qu’ils se trouvent dans l’une des situations suivantes : Ils sont libres parce que le délit dont ils se sont rendus coupables n’a pas été déclaré aux services de police. Parce que le délit n’a pas été élucidé (c’est-à-dire que les coupables n’ont pas été identifiés par la police). Ils sont libres parce qu’ils n’ont pas été appréhendés. Parce que l’affaire a été classée par le juge. Parce qu’ils ont fait l’objet d’un simple rappel à la loi. Parce qu’ils ont bénéficié d’une peine alternative, comme les travaux d’intérêt général. Parce qu’ils ont été condamnés à une peine ou à une obligation de suivi mais que la désorganisation ou le manque de moyens empêchent de les faire exécuter. Parce que la peine de prison à laquelle ils ont été condamnés était avec sursis. Parce qu’ils ont fait appel de leur condamnation. Parce qu’ils ont été condamnés à de la prison ferme mais qu’ils n’ont pas été incarcérés à l’issue de l’audience en attendant l’éventuel aménagement de leur peine. Parce qu’ils bénéficient d’une mesure de libération conditionnelle. Ils sont libres encore parce qu’ils ont purgé la peine de prison à laquelle ils avaient été condamnés et qu’ils ne font l’objet d’aucun suivi ni contrôle (ce qui est le cas de la très grande majorité des condamnés comme indiqué ci-avant). Et surtout les délinquants sont libres parce que les séjours en prison sont dans la grande majorité des cas de durée limitée (un peu moins de 5 mois en moyenne, comme on l’a vu).

Insistons sur cette réalité dont le public n’a pas, encore une fois, nécessairement conscience : compte-tenu des différentes situations que nous venons de décrire, la très grande majorité des délinquants sont, dans les faits, parfaitement libres. Libres comme l’air. Livrés à eux-mêmes, et libres de recommencer. Et ils ne s’en privent pas.

Récapitulons, à l’aide de quelques chiffres significatifs, pour certains déjà mentionnés dans les précédents articles, afin d’illustrer cette situation. Il y a 3,5 millions de nouveaux crimes et délits constatés par an (en réalité il s’en commet trois fois plus, la majorité des victimes de délits, tels que des vols mineurs, ne se faisant pas connaître). En rapport avec ces 3,5 millions de crimes et délits constatés, 1 million de personnes par an sont « mises en cause par les services de police et de gendarmerie » (c’est-à-dire qu’elles sont identifiées et soupçonnées d’avoir commis un crime ou un délit). Les deux-tiers environ des crimes et délits, soit 2,5 millions, restent donc non élucidés (c’est à dire que le coupable n’est pas identifié ; notons cependant qu’une partie des crimes et délits non élucidés ont été commis par des récidivistes par ailleurs identifiés au titre d’actes élucidés). Parmi le million de personnes mises en cause, seules une partie d’entre elles feront l’objet de poursuites pénales et 376 000 seront finalement condamnées. Les condamnés à une peine de prison totalement ou partiellement ferme sont 120 000 par an environ. Parmi ces derniers, seuls 80 000 seront effectivement incarcérés. Enfin la durée de détention effective des 80 000 condamnés qui chaque année commencent un séjour en prison est en moyenne de 5 mois.

3,5 millions de crimes et délits constatés chaque année ; seulement 80 000 personnes incarcérées, pour un séjour de quelques mois…  Le rapprochement de ces deux chiffres illustre cette constatation toute simple : dans leur très grande majorité, les délinquants sont en liberté.

Deuxième élément de conclusion. Nous sommes, nous l’avons dit, en présence d’un grand laxisme : les délinquants bénéficient dans les faits d’une quasi impunité. Tant qu’ils n’ont pas été auteurs de crimes, ils enchaînent des séjours en prison de courte durée et reviennent, dans l’intervalle, dans leur cité, où ils reprennent la délinquance. La justice ne prendra des sanctions sévères (plusieurs années de prison) que bien plus tard, lorsque le délinquant sera devenu criminel et aura derrière lui un long passé de délinquance. Il se trouve qu’entre-temps ce délinquant sera devenu irrécupérable.

L’activité des pouvoirs publics est donc globalement impuissante, complaisante et inutile. Les sanctions et la prison telles qu’elles sont pratiquées actuellement ne servent à rien. Elles n’amendent pas les délinquants, qui sont déjà endurcis lorsque la justice se décide à les sanctionner. Elles ne protègent pas la société, le délinquant retournant à ses occupations après un bref séjour en prison (tandis qu’un de ses congénères y prend sa place, les délinquants, comme dans un jeu de chaises musicales, occupant ainsi les prisons à tour de rôle). Ces séjours en prison, le plus souvent brefs, ont même souvent un effet contreproductif : la prison est en effet un lieu privilégié où se constituent de nouveaux réseaux délinquants et où se développe la propagande islamiste.

Dernier élément de conclusion : on ne peut qu’avoir une vision ambiguë du rôle de la police et de la justice.

On peut plaindre les acteurs du dispositif policier et judiciaire, la permanence d’une très forte délinquance pouvant donner l’impression qu’ils s’épuisent dans un travail de Sisyphe. On peut aussi penser, plus méchamment, que la délinquance a, aux yeux de certains policiers et magistrats, le grand intérêt de justifier leur propre existence et de crédibiliser leurs revendications corporatistes (la situation leur permet accessoirement de « s’éclater » professionnellement en participant à une forme de grand jeu de cow-boys et indiens, toujours recommencé, toujours enrichi, toujours renouvelé).

De même le jugement que l’on peut avoir sur l’efficacité de ces services ne peut qu’être lui aussi mitigé. La police de voie publique évite que la société ne sombre dans l’anarchie ; la police judiciaire parvient à mettre à l’écart, au moins temporairement, une partie des criminels les plus dangereux et les plus fous. Mais l’activité des différents services voués au maintien de l’ordre paraît tout de même, pour une large part, vaine et s’exerçant en pure perte.

En un mot, police et justice ne font, au mieux, que contenir la délinquance. Elles sont incapables d’y mettre fin. Elles ne permettent même pas de la réduire.

Dans le même temps, comme on le sait, police et justice sont utilisées pour pourchasser sans faiblesse les automobilistes moyens. Cette politique du « deux poids-deux mesures » rend le laxisme des pouvoirs publics en matière de délinquance d’autant plus anormal.

NB : une prochaine et ultime tribune consacrée à la question de la délinquance présentera différentes solutions envisageables pour améliorer la situation.

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