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Des centaines de milliers d’appartements construits en Espagne pendant le boom immobilier sont aujourd’hui vides. La crise a bloqué net l’essor de villes destinées à accueillir une population grandissante dans des blocs de standing organisés autour de vastes avenues. Visite fantôme à quelques kilomètres du centre de Madrid.

Le plus rapide pour aller chez le boulanger depuis le trottoir d’en face, c’est d’escalader le talus de graviers parsemé de restes de matériaux de construction puis de traverser un long terrain vague, avant de repartir à l’assaut d’un promontoire de terre qui s’effrite.

Seul commerce sur des centaines de mètres à la ronde, la boulangerie « El Hojaldre » fait l’angle entre une longue rue vide et une fine route flambant neuve bordant un pré d’herbes folles. C’est la frontière du gigantesque quartier qui se construit aux portes de Madrid.

L’Ensanche de Vallecas devrait à terme loger plus de 100 000 personnes dans quelque 25 000 nouveaux appartements. C’est le plus grand développement urbain de la région. Mais l’explosion de la bulle immobilière a soufflé son essor.

Sept fois moins de densité que dans le centre de Madrid

Pour l’instant, seules 20 000 personnes cohabitent donc sur 700 hectares, une densité sept fois moindre que celle du centre de Madrid, selon les calculs d’El País. Oubliée l’image traditionnelle des villes espagnoles aux rues plutôt étroites et bruyantes bordées de bars où résonnent des conversations à plein volume.

Ici, le silence règne entre les immeubles, même à 13h30, lorsque les écoliers animent un peu l’axe principal avant de s’engouffrer rapidement dans leurs grands blocs, le plus souvent couleur brique. Derrière leurs grilles, on aperçoit piscines et pistes de padel (un jeu de raquettes populaire en Espagne et en Argentine). Quelques façades originales se sont toutefois glissées dans le nouveau panorama, fruits des latitudes offertes aux projets de logements publics.

Peu de commerçants se risquent à s’installer

Diego, le boulanger, a ouvert boutique il y a deux ans, lorsque les premiers appartements étaient livrés. Depuis, il a vu le quartier s’animer légèrement mais la crise économique freine les arrivées. Des emplacements sont prévus au bas de chaque immeuble pour les commerces et restaurants, mais ils sont encore rares. La vie sociale converge donc plutôt vers l’immense centre commercial construit à quelques kilomètres de là.

Lui accueille les rares voisins en quête d’un desayuno (petit déjeuner) typiquement pris au comptoir. Optimiste, il assure :

« Avec la crise, les commerçants ont peur de se risquer à ouvrir ici, surtout qu’il n’y a pas encore grand monde. Mais il y aura plus de vie dans quelques années. »

Les banques, première agence immobilière d’Espagne

Si les commerces sont rares, les agences bancaires, elles, pullulent. En sortant du métro, on en compte cinq sur plusieurs centaines de mètres avant de tomber sur le premier restaurant. L’explosion de la bulle immobilière en 2007 a provoqué la faillite de nombreux promoteurs mais aussi de ménages ne pouvant plus payer leurs mensualités. Les banques, créancières, saisissent les appartements en compensation et tentent de les revendre aux enchères.

Elles sont ainsi devenues aujourd’hui la plus grosse agence immobilière du pays, avec environ 200 000 logements sur un stock d’appartements invendus total estimé à 1,5 million selon un rapport de la firme RR Acuña & Asociados qui avance qu’il ne sera pas absorbé avant 2015, voir 2017. Le gouvernement le situe à 688 000 logements.

Pour se débarrasser d’appartements qui encombrent leurs bilans et inquiètent les marchés, les banques pratiquent des rabais agressifs accompagnés d’offres de financement alléchantes qui font de l’ombre aux promoteurs traditionnels.

« Discount de 66 000 euros sur tous les appartements »

Dans les rues de l’Ensanche, les appartements pilotes à visiter sont nombreux, la plupart sur le même modèle : deux ou trois chambres, entre 60 m2 et 90 m2, balcons, une ou deux places de garage et un débarras, le tout dans un immeuble avec piscine ou parc privé.

« Discount de 66 000 euros sur tous les appartements », annonce un promoteur de la zone sur un célèbre site de vente en ligne. Ici, le prix du mètre carré oscille généralement entre 2 500 et 4 000 euros contre pas moins de 4 500 euros dans les immeubles neufs du centre de Madrid.

Cristina et Sergio, 30 ans, pensent donc avoir fait une bonne affaire pour leur premier logement : 185 000 euros pour 65 m2, deux places de parking, deux chambres et un débarras.

Eux ont opté pour le modèle des coopératives : des futurs propriétaires s’associent pour acheter et financer ensemble la construction d’un immeuble. De l’importance et la régularité de leurs investissements dépendent la qualité et les finitions. Cristina, longue doudoune, baskets noires et yeux bleus cachés derrière des lunettes de soleil pour se protéger de la lumière hivernale, alors que le couple promène son chien, se réjouit : « On a choisi des matériaux de qualité : les murs sont en briques, pas en “ placo ”. »

Un quartier résidentiel « trop calme » le soir

Comme beaucoup de jeunes espagnols, chacun vivait chez ses parents avant d’emménager dans leur premier appartement il y a sept mois. Ils n’ont jamais loué ensemble. Un goût pour la propriété très espagnol, qui faisait remarquer il y a un an à l’observatrice chargée du droit au logement des Nations unies, Raquel Rolnik, qu’en Espagne notamment, « la politique du logement est basée sur la propriété privée, qui se confond avec le droit d’avoir un logement digne ». Ce qui se traduit par un endettement des ménages sur de longues années et dans la quasi-totalité des cas à des taux variables.

Cristina et Sergio, eux, sont enchantés : les entrées d’autoroutes proches leur permettent d’être au travail en moins de trente minutes. Une ligne de métro arrive jusqu’au bout des nouveaux quartiers encore en construction. Eux font toutes leurs sorties en voiture. Surtout le week-end, lorsque l’ambiance sépulcrale du quartier est à mille lieux de la fiesta traditionnelle. Dans un éclat de rire, elle reconnaît : « C’est vrai que c’est calme le soir. Trop calme ! »

Rue 89

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