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Les marchés boursiers ne sont pas les seuls, pour reprendre la célèbre formule d’Alan Greenspan, à faire preuve “d’exubérance irrationnelle“. Les opinions publiques aussi.

Il y a deux ans, la victoire de Barack Obama avait été célébrée dans le monde entier, saluée comme le passage des ténèbres à la lumière. Et, sur le plan purement économique, comme la double promesse d’un retour rapide à une croissance saine et juste et d’une rupture radicale avec un système à l’agonie. Personne ne voulait écouter ceux qui osaient alors en douter, en notant par exemple que les banques d’affaires de Wall Street, au premier rang desquelles Goldman Sachs, étaient les principaux financiers du Parti démocrate.

Sur les marchés comme en politique, les grands épisodes spéculatifs finissent mal, en général. Par des krachs boursiers ou par des “raclées” électorales. Les investisseurs y perdent leurs sous, les citoyens leurs jobs et leurs illusions. La bulle Obama a donc éclaté, percée de tous côtés par la dure réalité des chiffres, ceux d’un chômage à 10 % et de prix de l’immobilier qui ne remontent pas.

Au passage, on se dit que le monde est vraiment mal fait : aux États-Unis, le pauvre Obama se fait laminer à cause du mécontentement populaire suscité par la situation catastrophique de l’économie. En Chine, où les citoyens seraient tout disposés à remercier leurs dirigeants pour les prouesses de croissance, ils n’ont pas droit de vote.

Toujours est-il que c’est donc désormais entre les mains d’un républicain, Ben Bernanke, que les démocrates remettent leur destinée. C’est sur le président de la Fed, nommé par George Bush, et sur une relance monétaire qu’ils comptent pour faire repartir la machine économique.

Il faut dire que les marges de manoeuvre budgétaire sont devenues quasi nulles. Bien sûr, il se trouve encore quelques néo ou ultra-keynésiens pour prôner un nouveau et gigantesque plan de relance. Mais si on continue de les entendre, on ne les écoute plus guère, tant le risque serait grand de voir alors les États-Unis perdre leur triple A. De toute façon, les républicains, maintenant majoritaires à la Chambre des représentants, ne veulent pas entendre parler d’un tel plan, qu’ils considèrent comme un gaspillage pur et simple des deniers publics.

Reste donc le fameux “QE2,” dont M. Bernanke a annoncé mercredi 3 novembre la mise en oeuvre. Un nom de code mystérieux pour désigner le deuxième cycle de “Quantitative Easing“, d’assouplissement monétaire quantitatif. Ce qui n’est pas moins mystérieux. Le “QE“, c’est pourtant simple. La Fed va imprimer des centaines de milliards de dollars pour acheter des obligations que le Trésor américain émet pour rembourser ses anciens emprunts.

Cela consiste, pour résumer les choses de façon un peu simplifiée, à faire de la cavalerie en utilisant de la monnaie de singe. Ou si l’on préfère encore, à mettre en place un schéma de Ponzi, comme Bernard Madoff, mais à la puissance 100 000, et en rémunérant de surcroît les clients avec de faux billets.

M. Bernanke justifie cette pratique peu recommandable par la volonté de maintenir les taux d’intérêt à long terme à de très bas niveaux (ce qui aidera en théorie le marché immobilier à redémarrer) et de favoriser l’achat d’actions (ce qui enrichira les Américains et les incitera à “re“consommer).

Foutaises que tout cela, a répondu en substance, dans le Financial Times, l’économiste de Harvard Martin Feldstein. Les bienfaits économiques à attendre du “QE2” sont minimes, mais les risques multiples et grands. Au premier rang desquels, celui de provoquer d’énormes perturbations dans le système monétaire mondial. Car les dollars créés par la Fed ne vont pas rester aux Etats-Unis, mais émigrer vers les pays à forte croissance, où ils sont mieux rémunérés. Déjà, le Brésil, la Thaïlande, la Corée du Sud et l’Indonésie ont annoncé des mesures pour empêcher un afflux trop massif de capitaux chez eux. Ils érigent des barrières, font du “Quantitative Tightening,” du resserrement monétaire quantitatif. “QE2 contre QT1,” c’est le titre du film de la guerre monétaire qui se profile.

Après la politique laxiste d’Alan Greenspan qui a conduit à une crise mondiale du crédit, c’est donc maintenant le “QE2” de Ben Bernanke qui menace de diffuser son poison à toute la planète. Cela commence à faire beaucoup. On connaît la phrase du secrétaire au Trésor de Richard Nixon, John Connally, à propos du dollar. “Le dollar est notre monnaie et votre problème.” On peut l’actualiser : “La Réserve fédérale est notre banque centrale et votre problème.

Le risque ultime du “QE2,” cela reste toutefois de jeter le discrédit sur toutes les banques centrales. En démontrant que leur indépendance vis-à-vis du pouvoir politique n’est qu’un mirage, en sapant la confiance que les peuples leur font pour préserver la valeur de la monnaie. Si cela continue, nous finirons tous libertariens. Comme le parlementaire républicain du Texas, Ron Paul, qui soupçonne la Fed d’avoir vendu en cachette tout son stock d’or et exige une visite officielle des chambres fortes de l’Etat fédéral, à Fort Knox, dans la base militaire du Kentucky. Ron Paul réclame aussi la suppression de la Fed et l’émission de monnaies privées référencées sur l’or.

Ben Bernanke est un homme d’une intelligence prodigieuse. A 11 ans, il gagnait des concours d’orthographe (ne perdant en finale nationale qu’après avoir mal épelé le mot “edelweiss“). Quelques années plus tard, au lycée, il obtenait le score quasi-parfait de 1 590 points sur 1 600 points. Il est de plus parfaitement adapté à la situation actuelle, puisqu’il est l’un des meilleurs spécialistes mondiaux de la crise de 1929.

Quand quelqu’un d’aussi intelligent et d’aussi compétent commence à faire des choses déraisonnables, il y a lieu de s’inquiéter. Surtout lorsqu’on sait ce que M. Bernanke a pu expliquer un jour : “Si l’on comparait la politique monétaire à la conduite d’une voiture, il s’agirait d’une automobile avec un compteur de vitesse fantasque, un pare-brise embué et une tendance aux embardées.” Pas très rassurant pour les passagers que nous sommes.

Le Monde

(Merci à SPOILER)

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