Fdesouche

Depuis le début de la crise, on a tout entendu ou presque sur les économistes : qu’ils ont échoué à voir venir l’éclatement de la bulle des subprimes, que leurs prévisions sont à côté de la plaque, qu’il ne servent plus à rien…

De tout cela, beaucoup d’inexactitudes : grand nombre d’experts tiraient en effet la sonnette d’alarme depuis longtemps, en particulier à propos de l’endettement excessif des ménages américains. L’exemple le plus incontestable est celui de Nouriel Roubini, de l’université de New York. Depuis le début des années 2000, il est  surnommé « Dr Doom », « Monsieur Catastrophe », à cause de ses prédictions à la Cassandre. A l ‘époque, personne ne le prenait au sérieux… jusqu’en 2008, où ses craintes se sont réalisées.

Des docteurs Doom, il y a encore, aujourd’hui. Et beaucoup. Pour s’assurer que cette fois, on les écoute, certains d’entre eux viennent de lancer, en France, le «Manifeste des économistes atterrés». Menée par Philippe Askenazy (CNRS), Thomas Coutrot (co-président d’Attac), André Orléan (Ehess), Henri Sterdyniak (OFCE) et une dizaine d’autres, cette pétition dresse un constat sans appel des politiques actuelles des gouvernements et des illusions qui président leurs décisions :

1) Les marchés financiers sont régulièrement à côté de la plaque et ne servent plus l’économie

Preuve par les faits : si leur choix étaient rationnels, efficaces et au service de l’économie, les financiers (fonds d’investissement, hedge funds, prop traders des banques…) n’auraient pas foncé tête baissée dans la bulle des valeurs internet en 2001 ni dans celle des subprimes en 2007. Et ils n’auraient probablement pas rempli jusqu’à craquer leurs portefeuilles de produits financiers complexes qu’ils savaient pertinemment explosifs.

Dès lors, deux hypothèses : soit ils sont stupides, soit ils cherchaient à maximiser leurs profits à court terme en espérant retirer leurs billes avant que tout explose –et tant pis pour l’économie. En caricaturant à peine, la deuxième option est malheureusement la bonne.

2) Réduire les dettes des États tout de suite maintenant en coupant dans les dépenses publiques n’est pas une bonne idée

Bien sûr, on ne peut pas laisser filer les dettes publiques jusqu’à l’infini, il faut bien rétablir un jour l’équilibre des finances. Mais le faire au moment où ménages et entreprises se désendettent et réduisent leurs dépenses, où le chômage continue de grimper et où l’économie est encore farcie d’éléments récessifs, et ce, dans la plupart des pays européens en simultané, c’est se concocter une belle petite stagnation à la japonaise pour les cinq à dix ans à venir.

Pire, en coupant les dépenses publiques et augmentant les impôts alors que l’activité ne s’est pas redressée, nous reproduisons précisément les mêmes erreurs qu’en 1929.

Celles qui ont menées à la grande dépression de 1933.

Le manifeste avance également vingt-deux propositions pour refonder la politique économique : suppression des exonérations consenties aux entreprises sans effets suffisants sur l’emploi, maintien d’un fort niveau de protection sociale, interdiction de la spéculation sur compte propre dans les banques pour limiter les prises de risques inconsidérées…

Le détail du texte, qui a déjà recueilli plus de 1100 signatures, est ici.

Voilà pour la France. Mais on retrouve le même genre d’initiatives dans plusieurs autres pays européens, sans parler des Stiglitz et Roubini, qui écrivent à longueur de tribunes que la rigueur risque d’envoyer l’Europe droit dans le mur. Tous ne sont pas d’accord sur tout, mais ils visent la même chose : faire comprendre aux gouvernements qu’obéir aux exigences des marchés qui, on l’a vu, sont souvent dans l’erreur, n’a aucun sens. Mais qu’attendre que l’économie soit véritablement rétablie avant de lui administrer une cure d’austérité bien calibrée relèverait, à l’inverse, du bon sens.

Nos dirigeants entendront-ils leur appel ?

On peut l’espérer. Dans le cas contraire, ils ne pourront pas reprocher aux docteurs Doom de ne pas avoir sonné le tocsin à temps.

Pour en savoir plus à propos de l’impact des plans de rigueur sur l’économie :

Une_interview_de_Joseph_Stiglitz.pdf Une interview de Joseph Stiglitz.pdf

Macrotrottoir

Fdesouche sur les réseaux sociaux