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Bonjour à tous! Je tenais tout d’abord à vous remercier de lire cette rubrique tous les Dimanches. Je vous annonce ensuite une nouveauté qui me remplit de joie: je ne serais plus seul pour tenir cette rubrique! Dès aujourd’hui, un de nos lecteurs me rejoint. Il s’agit de Pommier du Val. Je le laisserai se présenter lui même, laissez moi juste dire pour le moment qu’il a suivi une éducation musicale de très haut niveau (de niveau très supérieur à la mienne par exemple) et qu’il sera sans aucun doute parfaitement capable de vous faire découvrir la musique sur cette rubrique. On le félicite, on le remercie et on l’encourage bien fort! Bon Dimanche à vous!   Alexandre

Photo de Koechlin

Comme première contribution à cette rubrique, je suis très honoré de présenter aujourd’hui un très grand musicien Francais, Charles Koechlin, injustement tombé dans l’oubli après sa mort.

I/ Rapide biographie:

Charles Koechlin (27 Novembre 1867, 31 Decembre 1950), d’origine alsacienne et issu de la riche famille industrielle des Koechlin (son grand-père était le célèbre Jean Dolfus), entame ses études musicales au Conservatoire de Paris en 1890, après avoir obtenu son diplome de l’Ecole Polytechnique et le grade d’officier d’artillerie. Il y étudiera durant une dizaine d’année la composition aux côtés de grands maitres de l’Ecole Francaise comme Massenet ou Gabriel Fauré.

Rêvant de devenir astronome, Koechlin se dédiera pourtant à sa carriere de musicien. Critique à la Chronique des Arts, il fondera par la suite avec Maurice Ravel la très influente Société Musicale Indépendante, ayant pour but de promouvoir la musique moderne du début du XXeme siecle.

Extrèmement humble, Koechlin ne cherchera jamais à se mettre en valeur et à obtenir les honneurs, et dédaignera la vie mondaine artistique. Ceci explique en partie pourquoi sa musique fut si peu jouée et tomba dans l’oubli à sa mort. Il se forgera surtout une image de sage, d’érudit, de savant de la musique. Grand pédagogue et théoricien, il étudiera en profondeur la musique de toutes les époques et écrira une impressionante collection d’ouvrages dediés à la transmission du savoir. Ses traités d’harmonie et d’orchestration sont toujours actuellement des références dans les classes des Conservatoires. Avec sa longue barbe blanche, Charles Koechlin fera figure de patriarche et sera vénéré par le milieu musical Francais.

Actuellement, la musique de Charles Koechlin est très peu connue et peu jouée. Depuis une dizaine d’année cependant, on commence à redécouvrir Koechlin et ses oeuvres sont de plus en plus enregistrée, notammenent grâce au chef Suisse Heinz Holliger édité par le label Hänssler. Saluons ce travail audacieux qui honore notre patrimoine.

II/ Le Style musical: l’école française:

La musique de Charles Koechlin est extrêmement diverse et puise son inspiration dans l’exotisme imaginaire. Il faut se replacer dans le contexte du debut du XXème siècle. Les images et les récits rapportés par les explorateurs (comme par exemple les premières photographies des temples au Cambodge) alimentent l’imaginaire de toute la generation d’artistes de cet époque. Charles Koechlin est lui même un grand rêveur, son rêve a toujours été d’admirer les étoiles, et il exercera tout de même l’activité d’astronome amateur.

Sa musique est donc inspirée par tout l’imaginaire de cet époque. Il écrira de nombreuses oeuvres musicales (plus de 200 !), que ce soit pour orchestre ou pour petites formations. Parmis les oeuvres les plus significatives, notons “Vers la Voûte étoilée, op.129” (inspiré par les étoiles), “Les Heures Persannes, op 65”, d’inspiration orientale, “Paysages et Marines, op 63”, d’inspiration maritime et pastorale, “20 Chansons Bretonnes, op 115”, inspire par les musiques traditionnelles de Bretagne, “L’Album de Lilian, op 139&149” et ses nombreuses oeuvres pour instruments à vent, inspirées des musiques de l’antiquité Grecque, de la musique medievale Francaise, etc…

Le dénominateur commun à toute ses oeuvres, c’est une écriture et des sonorités très Francaises. En effet, Koechlin est en quelque sorte l’héritier ultime de l’Ecole Francaise, il synthétise à lui seul le style musical Francais developpé par Camille St Saens, Gabriel Fauré, Debussy et Ravel. Au programme, une musique extrêmement raffinée, sensible, interiorisée, aux sonorités cristalines et feutrées.

III/ L’Oeuvre: (en deux parties pour raisons techniques… Youtube n’accepte que des vidéos inférieures à 10 minutes.  Alexandre)

L’oeuvre presentée aujourd’hui se nomme “Les Bandar-Log, op.176”, écrite en 1939. Cette oeuvre est un poème symphonique tiré d’un vaste cycle orchestral nommé “Le Livre de la Jungle” et inspiré du roman de Rudyard Kipling (provenant des Indes Britaniques).

Avant de présenter l’oeuvre, rappelons une notion importante: qu’est-ce qu’un poeme symphonique? En musique classique, il existe deux styles de narration, autrement dit de manière d’articulier le discours. Il y a d’un cote la musique “pure”, comme par exemple les symphonies de Mozart, où le discours n’est motivé que par une construction uniquement technique. Les notes se suffisent à elles mêmes. De l’autre coté, il y a la musique à programme, que l’on voit apparaitre sous Hector Berlioz avec sa Symphonie Fantastique. Ici la musique est motivée par une histoire, les thèmes représentent des personnages, des objets, des actions, et toute l’oeuvre suit la narration d’un texte. Le poeme symphonique est donc une symphonie dont la construction va s’appuyer, et sera motivée par une histoire.

Dans “Les Bandar-Log”, Charles Koechlin s’amuse et réalise une oeuvre pleine d’humour. Il utilise la scène des singes dans la forêt afin de faire passer ses idees “politiques” sur la musique. Il oppose d’un coté les compositeurs contemporains, representés par les singes, à la musique classique et savante, representée par la forêt et la panthère Bagheera. Il en résulte une oeuvre tres drôle ou Koechlin parodie en bien ou en mal de nombreux compositeurs (on reconnaitra Schoenberg, Stravinsky, Strauss, Debussy, etc…). Orchestrateur hors pair (il a notamment orchestre du Fauré et du Debussy), admirez les couleurs que Koechlin arrive à sortir de l’orchestre. C’est d’une grande virtuosité, le mélange des timbres des instruments est d’une grande richesse. L’ambiance mystèrieuse et feutrée est magnifique.

Je pense que le mieux, et le plus simple, est de recopier le programme ecrit par Koechlin à l’occasion de la creation Francaise. Qui de mieux placé que l’artiste lui même pour parler de son oeuvre ? J’ai rajoute entre parenthese le minutage de la video afin de situer l’action par rapport au programme.

« Dans Les Bandar-log, le ‘Scherzo des Singes’ de mon Livre de la Jungle, il y a une extrême complexité. Mais cette pièce appelle une explication précise et détaillée.

« Dans le calme d’un lumineux matin, les singes tout à coup font irruption (2:15). Criailleries grotesques, mais aussi, souples et gracieuses gambades. Comme vous le savez, d’après Kipling, ces singes tout à la fois les plus vaniteux et les plus insignifiants des animaux, se croient des génies créateurs, ils ne sont en réalité que de vulgaires copistes, dont le seul but est de se mettre à la mode du jour (cela s’est vu parfois dans le monde des artistes). Ils vont parler, chanter, clamer leurs secrets prétentieux. Pour cela, ils utiliseront (sans en rien faire de bon), divers procédés de l’harmonie moderne : d’abord, des quintes consécutives, puis des neuvièmes, à la manière de Claude Debussy (3:20). Le tout entremêlé de gambades qui, elles, restent harmonieuses et musicales.

« Puis ils abordent la musique atonale (environ 5:00), avides d’obéir à la Loi des Douze Sons de Schönberg et de ses disciples. Ce sont alors des sauts brusques et brutaux (comme d’ailleurs on en rencontre chez certains atonalistes). Mais voici que la forêt entière se met à chanter avec eux ; elle fait en sorte que cette atonalité devient musicale et presque lyrique (environ 6:00) – or cette évolution expressive déplaît (6:30) aux singes (ils veulent ‘rester classiques’), par un artificiel et ridicule pseudo-retour à Bach. Et c’est alors (sur le thème de ‘J’ai du bon tabac’) une polytonalité dure et factice (6:40), – à quoi succède une fugue chromatique dont le sujet et le contre-sujet rivalisent de bêtise (7:20).

Mais voici de nouveau que la forêt s’en mêle (debut video 2), prend la parole, et transforme cette fugue en réelle musique par une nouvelle exposition du sujet. Les singes interviennent de leur côté ; cette fois ce sont des passages de percussion pure, sans musique véritable et où il n’y a plus que du rythme (4:20). Puis ils reprennent en charivari leur thème du retour à Bach. Mais voici soudain interrompues leurs élucubrations par l’arrivée des Fauves, Baloo et Bagheera, dont retentit la sonnerie terrible (4:60), aux trompettes menaçantes. Fuite éperdue des singes (5:10). Et la jungle retrouve enfin le calme lumineux (6:00 environ) par quoi débutait ce poème symphonique où l’on peut voir tour à tour une satire des artistes qui veulent être à la mode, – et lorsque la forêt chante, un hommage réel au langage polytonal ou atonal. Mélange assez subtil, pour l’explication duquel fut peut-être nécessaire cette analyse un peu longue. »

Auteur: Pommier du Val

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