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La précarité dans laquelle vivent les moins de 30 ans a encore été aggravée par la période de récession que viennent de traverser les Etats-Unis.

"Le Rêve Américain, c'est fini"

L’époque actuelle se montre particulièrement dure pour les jeunes Américains. Cette population vit des jours sombres, très sombres, depuis l’effondrement de l’activité économique, qui a continué de plonger tout au long de l’année 2009.

En septembre, le taux de chômage des 16-24 ans s’est maintenu à 18,1 %, ce qui représente près du double de la moyenne nationale pour ce même mois. Plus de 2,5 millions de salariés de cette tranche d’âge ont perdu leur emploi depuis le début de la crise, en décembre 2007, ce qui fait d’eux la population la plus durement touchée par la récession.

Et ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. Les chiffres du sous-emploi sont encore plus préoccupants. Encore une fois, ce sont les jeunes qui souffrent le plus. Au cours du deuxième trimestre de 2009, par exemple, le taux de sous-emploi chez les travailleurs de moins de 25 ans a atteint le chiffre alarmant de 31,9 %. Pour les travailleurs de 25 à 34 ans, il était de 17,1 %.

“Les jeunes de moins de 30 ans ont été beaucoup plus durement touchés par la récession que les autres tranches d’âge”, affirme Andrew Sum, ­professeur de sciences économiques et directeur du Centre d’études sur le marché du ­travail de la Northeastern University, à Boston.

Les raisons qui expliquent cette situation sont multiples et complexes. Les jeunes invoquent souvent la redoutable concurrence à laquelle ils sont désormais confrontés : leurs aînés bardés de diplômes universitaires et forts de dizaines d’années d’expérience soumettent aujourd’hui leur candidature à des postes de débutants. En outre, les jeunes qui ont eu la chance de trouver un emploi sont souvent victimes du vieux principe “dernier embauché, premier viré”. Résultat, depuis la crise de 1929, les jeunes n’ont jamais aussi peu travaillé.

Le pire, c’est que les conséquences de ce contexte particulièrement difficile risquent de peser lourdement sur leur avenir personnel et collectif. “Cette situation aura des effets à long terme”, explique Andrew Sum, citant plusieurs études qui suggèrent qu’un début de carrière difficile peut avoir des conséquences durables. Par exemple, quinze ans après la fin de leurs études universitaires, les hommes blancs diplômés au début des années 1980, alors que sévissait la récession, continuent de gagner moins que ceux qui ont profité d’un meilleur climat d’embauche à la fin de leurs études.

Autre fait inquiétant : les personnes employées à temps partiel en début de carrière – un mode d’activité que beaucoup de jeunes sont aujourd’hui contraints d’accepter – semblent avoir par la suite une progression de salaire moins rapide que les salariés qui débutent avec un contrat à temps plein. “Nous chassons du ­marché du travail des jeunes qui ont besoin de l’expérience qu’ils peuvent y acquérir et qui, s’ils ne ­l’obtiennent pas, risquent d’en souffrir pour le reste de leur vie”, soutient Andrew Sum.

Ce n’est pas tout à fait l’avenir auquel rêvent la plupart des jeunes. Et pourtant, malgré la morosité du climat actuel, la situation est beaucoup plus complexe que ne le suggèrent les déclarations apocalyptiques entendues récemment à propos d’une “génération perdue” et de “jeunes dans l’impasse”.

Il y a, bien sûr, des tas de jeunes âmes perdues qui errent dans les salons de l’emploi, font la queue devant les bureaux de chômage et tentent de déterminer s’il est plus important de payer la facture d’électricité ou celle de téléphone. Mais certains sont complètement perdus, tandis que d’autres ne sont pas perdus du tout.

“J’espère qu’il est clair pour tous que ce n’est pas une récession qui frappe tout le monde de la même manière”, affirme Dedrick Muhammad, organisateur et chercheur ­associé du programme sur les inégalités et le bien commun de l’Institute for Policy Studies [un groupe de réflexion sur la justice sociale], qui a fait des recherches approfondies sur les conséquences inégales de la récession sur la population des Etats-Unis.

Encore une fois, les chiffres montrent que ­l’histoire se répète. Selon les données publiées début octobre par le Bureau des statistiques du travail (Bureau of Labor Statistics), le taux de chômage était de 40,7 % chez les adolescents africains-américains âgés de 16 à 19 ans et de près de 30 % chez les Latinos du même âge. Des taux beaucoup plus élevés que chez leurs camarades blancs, chez qui il n’était que de 23 %. Chez les 20-24 ans, la disparité est encore plus marquée : 13,1 % des jeunes ­travailleurs blancs sont au chômage, contre 27,1 % des Africains-Américains.

Ces chiffres ont rapidement augmenté, mais la crise traversée par la jeunesse n’a pas explosé d’un coup. Pour les jeunes travailleurs – en particulier les jeunes de couleur qui perçoivent un salaire modeste –, les difficultés ne datent pas d’hier. Elles ont débuté avec les changements initiés au cours des années 1980 pour remodeler l’économie et qui se sont traduits par la mort lente du secteur manufacturier, la montée d’une économie fondée sur les services, le déclin des syndicats et la disparition presque totale des politiques interventionnistes de l’Etat.

Les dix dernières années, avec la récession ­provoquée par l’éclatement de la bulle informatique et un retour de la croissance sans création d’emplois pour les jeunes, ont été particulièrement dommageables.

Dans le même temps, les jeunes travailleurs d’aujourd’hui ont dû faire plus avec moins. Les frais de scolarité pour un programme universitaire de quatre ans ont plus que doublé depuis 1980. Près des deux tiers des étudiants qui ont obtenu leur diplôme en 2008 ont quitté l’université endettés. Dans plusieurs Etats, le coût des structures d’accueil pour les enfants d’âge préscolaire engloutit maintenant jusqu’à 10 % du revenu des deux parents.

Quant à l’accès à une couverture santé, il est très limité chez les jeunes de 19 à 34 ans, parce que leurs employeurs ne leur offrent pas d’assurance. Un exemple concret : en 1979, 63,3 % des diplômés du secondaire bénéficiaient d’une couverture santé offerte par leurs employeurs, tandis qu’ils n’étaient que 33,7 % à en bénéficier en 2004.

“Nous vivons une situation bien particulière : les jeunes sont entrés dans la récession avec sur les épaules le poids de trente ans de profonds changements économiques et sociaux”, explique Nancy Cauthen, du groupe de réflexion Demos, partisan d’une plus grande justice sociale.

Heureusement, il n’y a pas que du mauvais dans toute cette morosité : certaines franges de cette génération sont parmi les plus politisées depuis plusieurs dizaines d’années et, en règle générale, adoptent des positions résolument progressistes. [N.B. : nous rappelons que cet article n’émane pas de nous et n’engage que son auteur – Fortune] En effet, nombre d’entre eux ont déjà commencé à se rassembler pour protester, défendre leurs droits et exercer des pressions à tous les niveaux : ils demandent notamment que des emplois verts soient créés, que le secteur bancaire soit mieux réglementé et que les budgets des Etats ne soient pas équilibrés au détriment des étudiants.

C’est un bon début. En effet, la liste des solutions qui doivent être mises en place pour résoudre le problème des jeunes est longue et démoralisante. Selon de nombreux chercheurs, il faut d’abord créer de l’emploi : des emplois verts, des contrats d’apprentissage soutenus par le programme fédéral Jobs Corps, des emplois dans les travaux publics et même des emplois permettant au patron d’obtenir un crédit d’impôt.

Ces nouveaux postes ne doivent cependant pas être comme tous les autres : ils doivent être conçus pour des jeunes. Les employeurs doivent être incités à embaucher des jeunes vulnérables et sans expérience, car, comme le dit Andrew Sum, “rares sont les jeunes qui obtiennent un emploi grâce au plan de relance”.

Pour Dedrick Muhammad, de l’Institute for Policy Studies, “la situation actuelle est une parfaite illustration du contexte rencontré par le gouvernement Obama : le président peut doubler les mesures d’aide par rapport à ce que faisait le gouvernement précédent, mais c’est toujours insignifiant par rapport à l’ampleur du problème” (voir son programme).

Source : The Nation

Traduction partielle en français : Courrier International

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