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Au beau milieu des États-Unis, l’après-pétrole a commencé. Au pays de l’essence pas chère et de la négation du réchauffement, des groupes de citoyens se sont donné pour mission d’aider les communautés américaines à se préparer à la double échéance de la fin du pétrole et du changement climatique.

Leur mouvement a un nom : la Transition.

Rob Hopkins

Son coeur bat à Boulder, dans l’État du Colorado (États-Unis), une enclave libérale et progressiste de 100 000 habitants, au sein de montagnes Rocheuses réputées très conservatrices.

Tous les mercredis, on se bouscule sur le marché fermier de Boulder – une curiosité en soi, au royaume du centre commercial. Entre les étals de fruits et légumes des agriculteurs bio, les militants de la Transition distribuent leurs tracts.

“L’agriculture industrielle, fondée sur des carburants bon marché, va s’effondrer”, prédit Michael Brownlee, chef de file du mouvement aux États-Unis. “Tout notre mode de vie est condamné. C’est très dur à entendre pour les Américains, élevés dans l’idée qu’ils le méritent.”

“Le manuel de la transition”, ouvrage de Rob Hopkins

Fondé par Rob Hopkins, le mouvement de la Transition a pris corps en 2006 à Totnes, petite ville anglaise de 8 000 habitants, avant d’essaimer dans le monde entier.

Ses militants ont un but : rendre leurs villes résilientes avant le chaos qui s’annonce, par la quête de l’autarcie énergétique et alimentaire. Avec une conviction : c’est l’opportunité pour l’humanité de construire un monde meilleur. Et un credo : la relocalisation de toutes les productions.

Formé par les fondateurs du mouvement à Totnes, Michael Brownlee, ancien journaliste, a créé à Boulder, en 2008, la première initiative américaine de la Transition.

Depuis, l’association locale, qui emploie trois salariés, a mué en centre de formation de nouveaux groupes dans tout le pays et accouché d’un Transition Colorado, puis d’un Transition US. En un an, quarante initiatives ont vu le jour aux États-Unis.

Michael Brownlee

“80 % de notre travail est centré sur l’agriculture locale, c’est le levier le plus efficace à court terme, ce dans quoi les gens peuvent le plus facilement s’engager”, explique M. Brownlee. “1 % seulement de notre nourriture est produite à l’intérieur du comté, or ses habitants dépensent 650 millions de dollars par an pour l’alimentation. Il y aurait là de quoi sauver notre économie !”

Les groupes créent des potagers communautaires, encouragent l’installation d’agriculteurs bio par des systèmes d’abonnement proches de ceux des Associations de maintien d’une agriculture paysanne (AMAP) en France.

Au sein d’une nation où le sens de la communauté et du lobbying ne sont pas des vains mots, le message passe. Soixante-quinze restaurants du comté affichent leur engagement à privilégier les produits locaux. Même les supermarchés mettent en valeur sur leurs rayons la production de la région.

“La Transition ne doit pas juste être un groupe de gens dans leur coin. Il faut engager toute la communauté pour avoir une chance de réussir”, explique M. Brownlee.

Le comté de Boulder soutient et finance le mouvement. La collectivité a créé un conseil de l’agriculture et de l’alimentation, dans lequel siègent des représentants de la Transition.

Et ses élus ont entrepris de réorienter en douceur les monocultures industrielles vers une agriculture vivrière de proximité. Avec un atout maître : grâce à une politique d’acquisition foncière de longue haleine, la majorité des terres agricoles sont des propriétés publiques louées aux exploitants. Un quasi-kolkhoze, au pays de l’Oncle Sam !

Un kolkhoze ? Vraiment ? (Cours de fabrication et d’utilisation d’outils agricoles à base de métaux de récupération, Whatcom County, État de Washington, nord-ouest des États-Unis, 04 avril 2009)

Ancien maire de Boulder, Will Toor, est l’un des trois dirigeants de ce comté de 300 000 habitants : “Nous essayons de développer les cultures maraîchère et biologique, mais ce n’est pas si simple. Il faut d’abord créer des débouchés, assurer un marché local. Surtout, nous manquons de fermiers !”

Volontariste, le comté a créé sa propre formation à l’agriculture pour encourager les vocations. “Quelqu’un qui suit la formation et nous présente un business-plan peut obtenir des terres quasiment gratuitement”, assure M. Toor.

Le mouvement peut-il aller plus loin, convaincre des gouverneurs, des sénateurs ? M. Brownlee n’y croit pas. “Il ne faut pas attendre le gouvernement pour faire avancer les choses. Les gouvernements, même locaux, font face à des situations qui les dépassent. Il faut agir dès maintenant, communauté par communauté.” A Totnes, les cousins britanniques ne disent pas autre chose.

Le Monde

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