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Marc Fiorentino est un financier qui s’assume mais qui n’assume pas pour autant tout ce que la finance fait. Sa deuxième vie, à côté de la finance, est l’écriture. Ce Français de souche tunisienne est en effet aussi, « à titre accessoire, » l’auteur comblé de véritables bestsellers – le dernier en date étant Pour tout l’or du monde (1).

Fortune faite mais pas « rangé des voitures » pour autant, il dit avoir écrit son dernier roman avec la volonté de raconter et de vulgariser ce qui peut se passer réellement dans les coulisses du secteur financier, un monde qu’il connaît au demeurant fort bien pour y travailler lui-même depuis maintenant 26 ans. Morceaux choisis d’une rencontre dans son bureau parisien, au siège de ses sociétés (Euroland, Allofinance…), basé… rue Balzac.

Que pensez-vous de la situation en Grèce ?

Marc Fiorentino : C’est la genèse de mouvements beaucoup plus forts. C’est un « test » avant de mener un jour « la mère de toutes les batailles », celle sur la dette américaine. Le grand public doit donc comprendre que les marchés sont en fait manipulés. Pour l’instant, les fonds spéculatifs fourbissent leurs armes sur des cibles plus petites. Et tout comme Hitler a envahi la Pologne et la Tchécoslovaquie avant de s’en prendre finalement à la France, les fonds spéculatifs s’en prennent pour l’instant à la Grèce avant de s’en prendre par la suite aux États-Unis !

Fortis ? «On a fait paniquer les gens pour qu’elle puisse être ‘ramassée à la casse’.» La Grèce ? «C’est un test avant la ‘mère des batailles’ sur la dette américaine.» Qu’est-ce qui arrêtera les spéculateurs ? Morceaux choisis de Marc Fiorentino, l’un des gourous les plus courus de la place financière parisienne, qui prédit l’implosion prochaine de l’économie chinoise.

Mais de là à imaginer que les Américains accepteront de se (sou)mettre au régime sec du FMI…

Les Américains n’auront pas envie de se défendre et, à la limite, ils en appelleraient presque de leur voeux une attaque sur la dette américaine !

Pourquoi ?

Dans le langage populaire, on dit aux États-Unis que « ce qui est bon pour General Motors est aussi bon pour l’Amérique ». Et GM est en… chapter 11 [NDLR : en concordat] ! Bref, les Américains finiront un jour par dire : « On vous doit 100 mais on ne vous remboursera que 60. Ainsi, on restera debout et on sera toujours vos clients ! » La mentalité des Américains est ainsi faite qu’ils n’ont pas la même idée que nous, Européens, de la cessation de paiements. Là-bas, ne dit-on d’ailleurs pas qu’il faut avoir fait faillite deux fois avant de réussir ?

Pensez-vous que les Chinois vont laisser faire ?

Le monde aura en tout cas à se préparer à un nouveau Bretton Woods. Dans les faits, on permettra certainement aux États très endettés d’annuler une partie de leurs dettes, tout comme ce fut d’ailleurs le cas avec l’Amérique du Sud dans les années 1980. Quant à la Chine, elle a évidemment tout intérêt à laisser l’économie américaine debout. Ne serait-ce déjà que pour pouvoir continuer à y écouler ses produits…

Peut-on dès lors imaginer dans la foulée une flambée du cours de l’or ?

Avant d’arriver à une solution de réalignement international, il y aura au bas mot une année de pourparlers mais, en cas de crise, l’once d’or pourrait, qui sait ? monter jusqu’à 2 000 à 3 000 dollars…

Quand verriez-vous ce scénario se dérouler ?

D’ici à deux ans au maximum. Le plus paradoxal est que les problèmes viendront selon moi de… la reprise économique !

Pourquoi ?

La reprise économique provoquera immanquablement une hausse des taux d’intérêt, donc une hausse du coût de la dette. Cette situation sera particulièrement difficile à supporter pour les États déjà surendettés, avant que l’inflation ne vienne tout de même réduire le poids réel de cette dette. Cela étant, ce que d’aucuns oublient un peu vite, c’est que si l’inflation augmente, les taux d’intérêt augmenteront à leur tour aussi, et donc le poids de la charge de la dette. Et quand on sait que, pour beaucoup de pays, c’est déjà le principal poste budgétaire…

Nous vivons dans un monde globalisé. La crise des subprimes nous l’a suffisamment démontré. Quid alors, selon vous, des répercussions chez nous ?

Chez nous, la situation est différente : historiquement, les États se sont endettés pour rendre des services aux ménages, services qu’ils ne payaient pas. Les ménages ont donc ainsi eu de quoi épargner. En France, l’épargne des ménages est égale au volume de la dette de l’État. On vit donc dans une sorte d’autarcie financière. Si, demain, le monde financier devait exploser, l’État français pourrait se financer auprès des ménages. En fait, notre chance, c’est de vivre sur un continent d’épargnants, moins dépendant qu’on ne l’imagine des marchés étrangers.

En Grèce, le remède de cheval imposé par le FMI et l’Union européenne a mis les gens dans la rue. Imaginerait-on « demain » pareil scénario chez nous ?

Le jour où les gens ont peur, on peut leur demander n’importe quoi ! En 2008, en contrepartie de la garantie sur leurs dépôts bancaires, les gouvernements auraient par exemple pu demander aux gens de travailler 3 ans de plus ! Ils ont loupé là l’opportunité de demander des sacrifices à la population sans révolte sociale en corollaire !

Est-ce cependant normal et acceptable de voir la spéculation in fine acculer les populations à de si lourds sacrifices ?

Notre système social est en fait utopique. Les États européens ne peuvent plus assurer le vieillissement de la population et assumer leur responsabilité en termes de sécurité sociale. En l’état actuel des choses, le financement structurel des retraites est impossible. Ne vous trompez pas, je ne dis pas que c’est bien, je vous fais juste part de la réalité face à laquelle on va se retrouver. Vous savez, en Europe, les gens continuent à croire que l’État est une sorte de deus ex machina, bref, une sorte de création divine où l’argent viendrait du ciel. Or l’argent vient de la poche des gens et tout est fait a priori pour fonctionner en circuit fermé. Si on sort du modèle, on se retrouve alors dans une situation à la grecque avec, à la clé, un dur rappel à la réalité. En deux mots, le modèle européen – du fait du vieillissement de sa population – ne fonctionne plus et les politiciens n’ont pas le courage affiché de le remettre en cause. Ils n’ont évidemment pas envie d’avoir une grève générale alors qu’il y a toujours une phase d’élection en ligne de mire. Ils attendront donc patiemment que le système explose, comme en Grèce. Et ils finiront par dire aux gens : « C’est comme ça ou bien on ne nous prête plus d’argent ! »

Et la Chine dans tout cela ?

La Chine ne sera pas « attaquée », elle va carrément imploser !

Qu’est-ce qui vous amène à cette affirmation ?

Cela fait plus de vingt ans que je m’intéresse aux « bulles ». J’ai une check-list de 20 critères qui font qu’on est ou non dans un phénomène de « bulle ». Pour la Chine, j’ai déjà coché au bas mot 15 des 20 cases de ma liste ! Ce pays entretient le mensonge permanent. Ainsi, contrairement aux États-Unis et à l’Europe, la Chine n’accepte pas la chute de son PIB. Du coup, elle maintient artificiellement sa croissance économique au-dessus des 8 % fatidiques. Et pour cela, elle a pourri – c’est le terme – le bilan de ses banques. Obligées de prêter à des régions, à des collectivités pour des projets qui ne seront jamais rentables, les banques chinoises croulent aujourd’hui sous les mauvaises créances. Cela étant, prestige oblige, si la Chine fera tout pour tenir jusqu’au terme de l’Exposition universelle de Shanghai, je n’ai cependant pas le moindre doute sur l’implosion prochaine de l’économie chinoise !

Concrètement ?

Ce sera pour elle un retour cinq ans en arrière, comme ce fut le cas au Japon dans les années 1980. Et il lui faudra cinq à sept ans pour revenir dans la course. Géopolitiquement, il y a du positif là derrière. En effet, depuis des années, en donnant l’impression qu’elle a vraiment d’immenses réserves de change (en occultant une dette tout aussi abyssale), la Chine a politiquement renforcé des États « peu fréquentables », tels l’Iran, le Soudan et nombre de dictatures africaines. Là aussi, des cartes vont être redistribuées.

La crise financière de 2008 nous a démontré que la finance est mondialisée. Faut-il ici rappeler à quel point nous avons souffert en Europe – et singulièrement en Belgique – des conséquences des défaillances sur les prêts hypothécaires américains ?

Tout cela a été une énorme arnaque ! On s’est servi d’une crise extérieure – qui nous a certes touchés mais pas autant qu’on l’a dit – pour provoquer une panique qui a permis à certains de redistribuer les cartes, décrochant le gros lot au passage. En Belgique, on a fait volontairement paniquer les gens sur Fortis, histoire que Fortis puisse être « ramassée à la casse » et que les actionnaires soient « nettoyés ». Je ne suis pas là dans la théorie du complot. Je m’inscris juste dans la logique de l’industrie où on profite des circonstances pour acheter son concurrent à bon prix. Fortis était une très bonne affaire pour BNP Paribas !

Dans la foulée de la crise financière, les États s’étaient engagés à mieux réglementer le secteur financier. Où en est-on aujourd’hui entre « l’effet d’annonce » et « l’annonce des faits » ?

Nulle part ! Et le drame est dans l’hypocrisie des politiciens. Aux Etats-Unis, le président Obama avait clamé en arrivant au pouvoir : « Les bonus obscènes, c’est fini ! » Un an après, Citi, bien que détenue par l’Etat américain, a quand même versé de plantureux bonus ! En Grande-Bretagne, par contre, la taxe sur les bonus rapporte énormément d’argent. Le gouvernement anglais escomptait 500 millions de livres. Elle lui a finalement rapporté 2,8 milliards de livres ! En France, les discours de Sarkozy – qui se prend pour Besancenot – me fatiguent. Il nous a sorti 1 000 mesures pour relancer l’économie et seules 80 sont appliquées. Vous savez, les gens ne sont pas dupes. Voyez l’écart de popularité qui existe aujourd’hui entre un président qui ment et un Premier ministre qui parle vrai. La popularité va aujourd’hui à celui qui dit la vérité.

Un mot de conclusion à l’adresse des politiciens ?

Est-ce qu’il y a des gens qui gagnent à tous les coups ? Oui : les grands patrons des hedge funds, ces machines à faire de l’argent et qui ne font leur métier que sur le dos de la bêtise des gens. Ainsi, si on laisse fonctionner un marché des CDS (Credit Default Swaps) grecs sans réglementation, il ne faut pas se plaindre de voir ensuite les fonds gagner de l’argent en attaquant l’euro. Le métier des spéculateurs, c’est de gagner de l’argent, point. Et permettez-moi de rappeler au passage que dans les années 1980, la Fed [NDLR : la banque centrale américaine] et la Bundesbank [NDLR : son alter ego allemand] engageaient des traders et les payaient très cher. Leur objectif était alors de se battre avec les mêmes armes que ceux qui étaient en face d’elles. L’expérience fut concluante. Pourquoi n’envisagerait-on rien de comparable aujourd’hui ?

(1) Ed. Robert Laffont, 2010, 414 p.

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(Merci à Gérard le Savoyard)

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