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En 2012, les entreprises américaines vont devoir rembourser une montagne d’emprunts obligataires. Le pire est à craindre.

Lorsque les Mayas ont prédit la fin du monde pour 2012 – si l’on en croit Hollywood –, ils n’ont pas inclus les junk bonds [obligations pourries] au nombre des périls qui menaceraient la planète. Pourtant, 2012 est également le début d’une période triennale au cours de laquelle plus de 700 milliards de dollars [524 milliards d’euros] de dettes à hauts rendements et à hauts risques arriveront à échéance, mettant ainsi, redoutent certains, une pression terrible sur les marchés du crédit. Comme l’Etat fédéral américain devra régler une énorme facture au même moment, les entreprises risquent d’avoir du mal à obtenir de nouveaux prêts, ce qui déclencherait une vague de défauts de paiement et de faillites.

Ces prévisions apocalyptiques ­ne sont pas l’apanage des éternels cassandres et autres spéculateurs à la baisse. Même Moody’s, connu pour la sobriété de ses déclarations, tire la sonnette d’alarme. “En 2012 et au-delà, une avalanche emportera les entreprises si elles ne se sauvent pas à temps”, avertit Kevin Cassidy, analyste pour cette agence de notation financière.


Nombre de sociétés de capital-investissement et d’entreprises non financières ont pu emprunter à de bonnes conditions avant l’éclatement de la crise du crédit, en 2007. Or l’énorme quantité d’obligations et d’emprunts qui ont été émis alors pour financer des acquisitions avaient une durée de cinq à sept ans, explique Diane Vazza, de Standard & Poor’s. De plus, beaucoup de firmes dont la dette était remboursable en 2009 et 2010 ont pu reconduire leurs crédits, ce qui ne fait qu’alourdir la facture pour 2012 et les années suivantes. Résultat, l’apocalypse financière – ou ce que les analystes appellent le “mur de la maturité” – se profile à l’horizon : 155 milliards de dollars de junk bonds arrivent à maturité en 2012, 212 milliards de dollars en 2013 et 338 milliards en 2014 (contre 21 milliards en 2010).

Comme cela a été le cas avec l’effondrement du marché des crédits hypothécaires à hauts risques (subprimes) il y a trois ans, les produits ­dérivés ont joué un rôle majeur dans l’explosion de la dette à risque des entreprises. Le grand coupable, c’est l’obligation adossée à des prêts, un instrument qui permet aux émetteurs de reconditionner les prêts aux entreprises, à la manière dont les subprimes avaient été découpées en menus morceaux, puis revendues à d’autres investisseurs. La quantité de créances risquées disponibles sur le marché s’en est trouvée considérablement accrue. “On peut se demander si toutes ces opérations auraient effectivement dû être initialement financées”, s’interroge Anders Maxwell, de la société de conseil en fusions-acquisitions Peter J. Solomon.

Entre 2012 et 2014, le gotha des sociétés de capital-investissement, ainsi que les entreprises – désormais lourdement endettées – qu’elles ont achetées durant les années fastes devront rembourser leurs emprunts. [Ces sociétés de capital-investissement empruntent pour financer l’acquisition d’une entreprise, puis remboursent leur dette avec les dividendes versés par cette dernière.] HCA, un groupe d’hôpitaux privés qui a été repris en 2006 pour 33 milliards de dollars par un consortium dirigé par les fonds d’investissement Bain Capital et Kohlberg, Kravis & Roberts (KKR), devra ainsi rembourser 13,3 milliards de dollars entre 2012 et 2014. Pour une autre acquisition dont KKR était le chef de file, celle du géant texan de la distribution d’électricité TXU, il faudra refinancer 20,9 milliards de dollars au cours de la même période.

Tout le monde n’est cependant pas convaincu que 2012 sera catastrophique pour le marché des junk bonds. L’analyste Martin Fridson note ainsi que, depuis l’an dernier, les investisseurs s’arrachent les obligations de catégorie “spéculative” [note attribuée par les agences d’évaluation aux titres à rendements et à risques élevés]. D’après lui, cet engouement persistera, ce qui permettra aux entreprises de se refinancer avant que leurs emprunts ne viennent à échéance. “Les sociétés disposent de près de deux ans pour repousser le mur de la maturité de 2012”, estime-t-il. “Leur capacité de refinancement dépendra bien sûr de la situation économique.” Mais, même si l’économie se redresse, ces entreprises feront face à la concurrence d’une foule d’emprunteurs mieux notés en quête, eux aussi, d’acheteurs pour leurs obligations. Et le mieux placé d’entre eux sera sans conteste l’Etat fédéral. Selon le Trésor américain, le déficit budgétaire atteindra 974 milliards de dollars en 2012 – un montant certes inférieur à celui de 2010 (1 800 milliards de dollars), mais tout de même énorme.

La plupart de ceux qui dénoncent la prodigalité fédérale sont obnubilés par le seul déficit budgétaire. Mais 859 milliards de dollars d’obligations anciennes arriveront à terme en 2012 et nécessiteront un refinancement qui viendra s’ajouter au déficit. Washington devra donc emprunter 1 800 milliards de dollars. En 2013 et 2014, il faudra lever annuellement 1 400 milliards de dollars. Compte tenu des déficits colossaux des dernières années, la dette fédérale dépasse désormais 12 000 milliards de dollars [près de 9 000 milliards d’euros].

Au second rang des emprunteurs bien notés figurent les entreprises dont la dette est considérée de qualité “investissement”. Elles devront refinancer 1 200 milliards de dollars de crédits entre 2012 et 2014. Enfin, il y a la reconduction prochaine des titres commerciaux adossés aux crédits hypothécaires, qui doubleront dans les trois années à venir pour atteindre 59,7 milliards de dollars.

Même si l’essentiel de la dette est refinancé, les sociétés devront probablement payer plus cher, l’ampleur des emprunts publics risquant de faire grimper les taux pour tout le monde. “Les chiffres donnent le vertige”, commente Tom Atteberry, du fonds d’investissement First Pacific Advisors. “Le gouvernement emprunte tellement que les autres joueurs seront éjectés du terrain ou devront débourser beaucoup plus.

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Junk bonds

Les émissions de junk bonds, ces obligations pourries très risquées, et donc très rémunératrices, ont atteint le volume record de 50,6 milliards d’euros dans le monde au premier trimestre, selon Thomson Reuters. Une grande partie de ces obligations a été vendue par des sociétés de capital-investissement qui cherchent à refinancer les énormes emprunts qu’elles ont contractés avant la crise financière, emprunts qui arrivent à échéance à partir de 2012, explique le Financial Times. De plus, ces titres ont été achetés par des investisseurs en quête de rendements élevés qui se sont détournés des marchés classiques, où les taux d’intérêt sont relativement faibles. Aux Etats-Unis, les junk bonds ont rapporté en moyenne 60 % l’an dernier.

Article original en anglais : New York Times
Traduction : Courrier International

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