Fdesouche

Dans leur croisade contre un yuan chinois sous-évalué, les Etats-Unis se sont découverts de nouveaux alliés : l’Inde et le Brésil. Deux puissances émergentes qui s’agacent de plus en plus ouvertement de l’avantage concurrentiel dont profite l'”atelier du monde” sur les marchés mondiaux grâce à la faiblesse de sa devise. “Si la Chine réévalue le yuan, cela aura un impact positif sur notre commerce extérieur“, a ainsi estimé le gouverneur de la Reserve Bank of India, Duvvuri Subbarao, mercredi 21 avril.

Manmohan Singh, Dimitri Medvedev, Hu Jintao et Luiz Inacio Lula da Silva

Le responsable semble peu apprécier les méthodes des autorités monétaires chinoises qui ont lié le renminbi (yuan) au dollar par une parité fixe depuis l’été 2008 : “Si certains pays dirigent leur taux de change et le maintiennent artificiellement bas, ce sont d’autres pays qui se retrouvent à supporter le fardeau des ajustements“, a-t-il critiqué. Manifestement, son homologue de la banque centrale du Brésil n’en pense pas moins. Un yuan plus fort est “absolument fondamental pour l’équilibre de l’économie mondiale“, a affirmé mardi 20 avril Henrique Meirelles.

Un tournant ? L’Inde et le Brésil avaient renoncé jusqu’ici à faire du yuan faible un cheval de bataille. Mieux valait ne pas trop froisser l’allié chinois auquel ils sont unis – avec la Russie – au sein du groupe des BRIC. D’autant que le dynamisme et l’appétit insatiable du dragon leur profitent aussi. Exemple : le Brésil a vu ses exportations vers la Chine multipliées par quinze, en valeur, depuis 2000. Il vend à Pékin des cargaisons de soja, de minerai de fer et de pétrole. Mais Brasilia s’inquiète des parts de marché que la Chine lui enlève dans son aire commerciale naturelle, l’Amérique du Sud, ou dans les pays lusophones d’Afrique. Ses craintes sont alimentées par la vigueur de sa devise, le real, qu’on dit la plus surévaluée au monde.

La monnaie brésilienne flotte librement vis-à-vis du dollar et elle a subi une appréciation très forte depuis un peu plus d’une année face au dollar, et donc face au yuan“, explique Michel Fouquin, directeur adjoint du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii). Il en va de même pour les monnaies asiatiques, comme la roupie indienne, dont la valeur est déterminée par le marché. “Ces pays subissent clairement un désavantage commercial“, indique M. Fouquin, spécialiste des économies émergentes. “L’Inde par exemple souhaite développer rapidement son industrie manufacturière, elle rentre donc directement en concurrence avec la Chine.” Et New Delhi supporte de moins en moins de voir se creuser son déficit commercial avec Pékin.

Les pays de l’Asean (Association des nations de l’Asie du Sud-Est) pourraient bientôt apporter leur pierre à ce débat. Le contexte les y invite : au 1er janvier, au terme d’un processus lancé en 2002, la Chine et les six principaux Etats de l’Asean – Indonésie, Philippines, Thaïlande, Malaisie, Singapour, Brunei – ont supprimé les barrières douanières pour 90 % de leurs échanges commerciaux. Plus rien n’entrave désormais la déferlante de produits “made in China” sur les marchés de Bangkok ou de Djakarta. Début avril, le premier ministre de Singapour, Lee Hsien Loong, a poliment fait remarquer à la Chine qu’il serait “dans son propre intérêt” d’adopter un taux de change plus flexible. Diplomatie oblige.

Mais le ton pourrait monter. Et l’étau se resserre autour du géant asiatique pour engager une appréciation de sa monnaie. Quand les Américains accusent la Chine de manipuler son taux de change, cela n’intimide pas Pékin. La réponse est toute prête : la crise est de la faute des Etats-Unis, ils ne savent pas gérer leur économie. Ce sont eux les vrais responsables des déséquilibres globaux. Pas le yuan.

Mais si les pressions émanent maintenant des pays émergents, la riposte devient de plus en plus délicate à gérer. A fortiori pour une Chine qui se plaît à endosser le rôle de leader des Etats en développement. “Elle n’a quand même pas envie de se mettre tout le monde à dos“, juge l’économiste Antoine Brunet, président d’AB Marchés. “Plus les pays sont nombreux à râler, moins elle peut se permettre de les ignorer.

Le Monde

Fdesouche sur les réseaux sociaux