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« La dette publique en Grèce n’est que la première d’une série de bombes européennes de la dette qui vont exploser, » avertit l’économiste Michael Hudson. Nombre de pays de l’Europe de l’est, à commencer par la Lettonie, très durement touchée par la crise, seront incapables de rembourser les prêts libellés en euros qui ont été accordés durant la période d’euphorie financière, prévient-il.

Les gouvernements devront bientôt choisir entre ruiner leurs économies et saigner à quatre veines leurs peuples pour rembourser ou bien renégocier la dette et la convertir en devises locales, provoquant ainsi des pertes dans le système bancaire européen. Le combat entre créanciers et débiteurs promet d’être acharné, à l’image de celui qui se déroule aujourd’hui entre la Grande Bretagne et l’Islande, mais l’issue ne faire guère de doute, selon lui. Entre la défense des intérêts de leurs mandants promis au servage de la dette, et ceux des banques étrangères, les gouvernements devront se déterminer et vont choisir, comme l’ont fait les islandais qui refusent de régler les dettes des banques privées. — L’accent mis aujourd’hui sur l’endettement « insoutenable » des États et la « rigueur draconienne » qui devrait s’en suivre fait l’impasse sur le fond du problème : l’accumulation folle de dette privée – et ce, dans tout l’occident, bien au-delà du cas spécifique de l’immobilier subprime américain. Sans dépenses et interventions publiques vigoureuses, nos sociétés menaçaient de sombrer. Aujourd’hui où le privé s’est un peu rasséréné, et que les banques savent qu’elles seront absoutes, quelle qu’ait été leur irresponsabilité, le poids écrasant de la dette privée entassée au-delà de toute possibilité vraisemblable de remboursement n’en a pas fini pour autant de peser sur le réel. Dans des sociétés fragilisées, où les perspectives d’activité peinent à reprendre des couleurs, le service de ces dettes – anciennes, du privé, et nouvelles, des États – va exercer une pression de plus en plus débilitante sur les revenus et les dépenses, sur l’activité, l’emploi et les conditions de vie. Le remboursement au prix fort d’emprunts sur des biens aujourd’hui dévalués ou en voie de l’être, la ponction sur la richesse nationale exigée des États, sont les formes d’un « esclavage moderne, » au seul bénéfice de créanciers dont le pouvoir, la superbe et l’arrogance n’ont d’autre origine qu’une dangereuse irresponsabilité, permise par la complaisance d’autorités et d’experts ayant abdiqué devant l’apparente toute puissance de l’argent. Mais aujourd’hui, lorsque la BRI évoque dans sa dernière étude un service de la dette qui pourrait dépasser les 10% du PIB, il convient de tirer les conclusions.

Le papier des contrats, la finance prédatrice, les dettes odieuses, seraient-elles donc plus sacrées que les vies, la santé des économies et le bien être des sociétés ? Faute d’un allègement de la dette sous forme de réduction des créances, du recours à la monétisation et à l’inflation, à des impositions exceptionnelles sur les actifs spéculatifs, accompagnés par une réduction de la mobilité des capitaux et un contrôle renforcé sur le secteur bancaire, nombre de pays occidentaux risquent de s’enfoncer dans le marasme et la misère sociale – et pour longtemps – au moment même où les émergents accélèrent leur course.

Par Michael Hudson

La dette publique en Grèce n’est que la première d’une série de bombes européennes de la dette qui vont exploser.

Les dettes hypothécaires des ex pays soviétiques et de l’Islande sont les plus explosives. Bien que ces pays n’appartiennent pas à la zone euro, la plupart de leurs dettes sont libellées en euros. Quelques 87% des dettes de la Lettonie sont en euros ou en devises étrangères, et sont dues principalement aux banques suédoises, tandis que la Hongrie et la Roumanie sont endettées en euro principalement auprès des banques autrichiennes. De ce fait, les emprunts des gouvernements de ces membres de l’Union européenne, qui sont en dehors de l’eurozone, ont été levés afin de soutenir les taux de change et de rembourser aux banques étrangères ces dettes du secteur privé, et non pas comme en Grèce pour financer un déficit budgétaire.

Toutes ces dettes sont bien trop élevées pour être remboursées car la plupart de ces pays subissent une aggravation de leurs déficits commerciaux et sombrent dans la dépression. Maintenant que les prix immobiliers sont en chute libre, les déficits commerciaux ne sont plus financés par l’afflux de prêts hypothécaires en devises étrangères ni par les acquisitions de biens. Il n’y a aucune solution de soutien prévisible qui permette de stabiliser ces monnaies. Durant l’année dernière, ces pays ont soutenu leurs taux de change en empruntant auprès de l’Union Européenne et du FMI. Les conditions associées à ces emprunts sont politiquement intenables : coupes drastiques dans les budgets du secteur public, hausse des prélèvements sur un travail déjà trop imposé, et plans d’austérité qui réduisent l’activité économique et provoquent une émigration des salariés.

En Suède, en Autriche, en Allemagne et en Grande-Bretagne, les banquiers vont découvrir qu’accorder de nouveaux crédits à des pays qui ne peuvent (ou ne veulent) plus payer pourrait devenir leur problème, et non celui de leurs débiteurs. Personne ne veut accepter le fait que les dettes qui ne peuvent pas être honorées ne le seront pas. Quelqu’un doit supporter les coûts lorsque les crédits qui doivent être réglés avec une monnaie fortement dépréciée sont en défaut de paiement et provoquent des pertes. Mais de nombreux experts juridiques considèrent que les contrats qui prévoient le remboursement de la dette en euros sont inapplicables.

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Évolution du PIB T4 2009 – T4 2008. Source : Eurostat

Chaque nation souveraine a le droit de légiférer sur les conditions de sa dette. Les prochains réalignements du cours des devises et les dépréciations de la dette entraîneront bien plus que de légères décotes

Il n’y a aucun intérêt à dévaluer uniquement pour rétablir une parité. Il faut que la dévaluation soit suffisante pour modifier réellement la structure de la production et des échanges commerciaux. C’est pourquoi Franklin Roosevelt avait dévalué le dollar américain de 75% par rapport à l’or en 1933, faisant passer son cours officiel de 20 dollar à 35 dollars l’once. Et pour éviter d’augmenter en proportion le fardeau de la dette des États-Unis, il avait annulé la « clause de l’or » indexant le règlement des crédits bancaires sur le cours de l’or. C’est sur ce point que se déroulera le combat politique aujourd’hui – sur le paiement de la dette en devises dévaluées. Aux États-Unis et au Canada, la Grande Dépression a eu une autre conséquence. La responsabilité personnelle des emprunteurs endettés pour un crédit hypothécaire a été supprimée, ce qui leur a permis de se relever après une faillite.

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Investissements T4 2009 – T4 2008. Source : Eurostat

En cas de défaut de paiement, les banques peuvent prendre possession des biens immobiliers garantissant le prêt, mais doivent abandonner toute réclamation ultérieure sur les créances hypothécaires. Cette pratique – ancrée dans le droit commun – a permis à l’Amérique de se libérer d’un héritage de type féodal où les créanciers gardaient tout pouvoir, et de la pratique de l’emprisonnement pour dette qui rendait les lois européennes si terribles.

La question est : qui supportera les pertes ? Conserver des créances libellées en euros conduirait à la faillite nombre d’entreprises et de prêts immobiliers. À l’inverse, re-libeller ces dettes en monnaies locales dépréciées détruirait le capital de nombreuses banques travaillant en euro. Mais il s’agit après tout de banques étrangères, – et en fin de compte, les gouvernements doivent représenter leurs électeurs nationaux. Les banques étrangères ne votent pas.

A l’étranger, les détenteurs de dollars ont perdu 29/30èmes de la valeur en or de leurs avoirs depuis que les Etats-Unis ont mis fin en 1971 au paiement en or de leurs déficits de la balance des paiements. Et cette somme a encore baissé, avec un cours de l’or atteignant 1.100 dollars l’once. Si le monde a pu supporter cela, pourquoi n’en serait-il pas de même face aux dépréciations des dettes européennes ?

Un nombre croissant d’observateurs comprennent que les économies post-soviétiques ont été structurées dès l’origine au profit d’intérêts étrangers, et non pas des économies locales. En Lettonie, par exemple, le travail est imposé à plus de 50% (y compris les charges des employeurs et les cotisations sociales), et ce niveau très élevé de prélèvement le rend non compétitif, alors que les impôts fonciers sont inférieurs à 1%, ce qui incite à une spéculation effrénée. Cette conception biaisée de l’assiette fiscale a fait des « Tigres » de la Baltique et de l’Europe Centrale les marchés du crédit favoris des banques suédoises et autrichiennes, mais les salariés n’ont pas pu trouver de travail bien rémunéré dans ces pays. Il n’existe aucune situation comparable en Europe occidentale, en Amérique du Nord ou dans les pays asiatiques.

Il apparaît irréaliste et peu raisonnable de s’attendre à ce que de larges secteurs de la population de la nouvelle Europe soient victimes de saisies sur salaire tout au long de leur existence, les rendant esclaves de leurs dettes. L’avenir des relations entre l’ancienne et la nouvelle Europe dépendra de la volonté de la zone euro de refonder les économies post-soviétiques sur une base plus viable, avec un usage plus productif du crédit et un régime fiscal moins favorable à la rente. Des économies qui favorisent l’emploi plutôt que l’inflation des prix des actifs et amène les travailleurs à émigrer. Outre les réajustements monétaires nécessaires pour faire face au problème d’une dette insupportable, la solution pour ces pays devrait consister en un rebalancement fiscal majeur entre le travail et l’immobilier, qui les rapprocherait de l’Europe occidentale. Il n’y a pas d’autre solution équitable. Sinon, le vieux conflit d’intérêts entre créanciers et débiteurs menace de diviser l’Europe en camps qui vont s’affronter, à l’exemple du cas de l’Islande.

Tant que ce problème de la dette ne sera pas résolu – et la seule façon d’y remédier consiste à négocier une remise de ce dette – l’élargissement européen (l’absorption de la Nouvelle Europe dans la Vieille Europe) paraît exclu. Mais la transition vers cette solution d’avenir ne sera pas facile. Les intérêts financiers ont encore un pouvoir dominant sur l’Union Européenne, et ils résistent à l’inévitable. Gordon Brown a déjà annoncé la couleur en menaçant illégalement et abusivement l’Islande de recourir au FMI en tant qu’agent de recouvrement pour des dettes que ce pays ne doit pas légalement, et de bloquer son adhésion à l’Union Européenne.

Face aux intimidations de M. Brown – et celle des « caniches » néerlandais de la Grande-Bretagne – 97% des électeurs islandais ont voté contre l’accord sur la dette que la Grande-Bretagne et les Pays-Bas voulaient imposer au parlement islandais le mois dernier. De tels résultats électoraux n’avaient pas été vus depuis l’ère stalinienne.

Mais ce n’est qu’un avant-goût. La décision que l’Europe finira par prendre va probablement jeter des millions de manifestants dans les rues. Les alliances politiques et économiques seront transformées, les monnaies vont s’effondrer et les gouvernements tomber. L’Union européenne et, en fait, le système financier international seront transformés de façon encore inimaginable. Ce sera particulièrement le cas si ces pays adoptent le modèle de l’Argentine et refusent d’honorer leur dette jusqu’à ce que des rabais considérables soient consentis.

Les paiements en euros – lorsque les revenus procurés par les biens et ceux des ménages sont dans le rouge, lorsque les dettes dépassent la valeur réelle des revenus disponibles pour rembourser les crédits hypothécaires ou individuels – seront impossible pour les nations qui aspirent à maintenir un minimum de cohésion de la société civile.

Sous leur jargon technocratique aseptisé, les « plans d’austérité » du genre de ceux du FMI et de l’UE, imposent des mesures qui se traduiront par les souffrances et les morts provoquées par l’éviscération des revenus, des services sociaux, des dépenses de santé dans les hôpitaux, de l’éducation et des autres services de base, et par la vente d’infrastructures publiques qui transformeront ces pays en économies de « péages » où tout le monde sera obligé de régler le prix d’accès pour les routes, l’éducation, les soins médicaux et tous les autres services quotidiens qui sont subventionnés grâce à l’impôt progressif en Amérique du Nord et en Europe occidentale.

Les lignes de la confrontation qui se dessine porteront sur la façon dont les dettes publiques et privées devront être acquittées. Pour les pays qui rechignent à rembourser en euros, les nations créditrices disposent d’une « force » qui attend en coulisse : les agences de notation de crédit. Au premier signe de réticence d’une nation à régler sa dette en devises fortes, ou même dès les premiers signes de remise en question d’une dette extérieure jugée comme abusive, les agences réagiront en abaissant la notation du crédit d’une nation. Cela fera augmenter le coût de l’emprunt, menaçant de paralyser son économie en la privant de crédit.

Le coup le plus récent a été porté le 6 avril, lorsque l’agence Moody’s a abaissé la note de la dette Islandaise de stable à négative. « Moody’s reconnaît que l’Islande peut encore obtenir un meilleur accord dans de nouvelles négociations, mais a déclaré que l’incertitude actuelle pénalisait les perspectives économiques et financières à court terme du pays. »

Le combat a commencé. Cette décennie devrait être intéressante.

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