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Par le Père Augustin

Les Actes du martyre des saintes Félicité et Perpétue sont parmi les premiers « Acta martyrum » qui nous soient parvenus. Perpétue en a écrit elle-même une grande partie, à la première personne du singulier. De condition sociale très différente, Perpétue était fille d’un notable païen et Félicité jeune esclave chrétienne, elles ont été arrêtées ensemble. Toutes deux jeunes mères – Félicité était encore enceinte quand elle a été arrêtée et elle a accouché en prison – le tribunal de Thuburbo (aujourd’hui Tebourba en Tunisie), hésita à les vouer au sort qui attendait les chrétiens durant la persécution de l’empereur Septime Sévère. Elles restèrent longtemps en prison, mais finalement, au grand scandale de la foule, elle furent livrées aux bêtes, comme leurs compagnons, Saturus, Saturninus, Revocatus et Secundulus, dans l’Amphithéâtre Castrense de Carthage le 7 mars 303.

Voici un extrait du récit de Perpétue :
« On nous a mis en prison et j’ai eu très peur parce que je n’avais jamais connu une telle obscurité. Quel jour d’horreur! Une chaleur terrible à cause de la foule! Un traitement très rude de la part des soldats! Pour couronner le tout, j’étais tourmentée d’anxiété pour mon bébé. Mais Tertius et Pomponius, ces diacres bénis qui ont pourvu à nos besoins, ont versé un paiement qui nous a permis d’être mises dans une meilleure partie de la prison pendant quelques heures, et nous avons été quelque peu soulagées. Tout le monde a quitté la prison et nous sommes restées seules. On m’a amené mon bébé, et je l’ai allaité parce qu’il était déjà affaibli par manque de nourriture. J’ai parlé avec anxiété à ma mère à propos de lui, j’ai encouragé mon frère, et j’ai confié mon fils à leurs soins. J’ai eu bien de la peine quand j’ai vu les soucis qu’ils avaient à mon égard. Pendant bien des jours j’ai souffert de telles anxiétés, mais j’ai obtenu la permission de garder mon enfant en prison avec moi. J’ai vite repris la santé quand je n’avais plus cette détresse et ces soucis à son égard. Tout à coup, ma prison est devenue pour moi un palais, et je n’aurai voulu être nulle part ailleurs.
Ensuite, mon frère m’a dit: “Ma chère soeur, tu es très bénie; tu pourrais certainement demander une vision qui te permettrait de savoir si tu va être condamnée ou mise en liberté.” Je lui ai promis fidèlement que je le ferais, car je savais que je pouvais parler au Seigneur, ayant vécu ses grandes bénédictions. Alors j’ai dit: “Je te dirai demain.” J’ai ensuite fait ma demande et voici la vision que j’ai eue:
J’ai vu une très grande échelle en bronze qui allait jusques aux cieux, mais elle était tellement étroite que seulement une personne à la fois pouvait la grimper. Aux côtés de l’échelle étaient attachées toutes sortes d’armes en métal: il y avait des épées, des lances, des crochets, des poignards et des pointes; ainsi, si quelqu’un essayait de grimper avec insouciance, ou en ne faisant pas attention, il serait mutilé et sa chair resterait attachée aux armes.
Au pied de l’échelle il y avait un dragon énorme qui attaquait ceux qui essayaient de grimper, et essayait de les terrifier pour les en dissuader. Et Saturus était le premier à monter, lui qui par la suite s’était rendu de son propre gré. C’est lui qui nous avait donné des forces, même s’il n’était pas là lors de notre arrestation. Et il est arrivé en haut des escaliers, et il s’est retourné pour me dire, “Perpétue, je t’attends. Mais fais attention, ne te fais pas mordre par le dragon.” “Il ne me fera pas mal,” j’ai dit, “au nom de Christ Jésus.” Lentement, comme s’il avait peur de moi, le dragon a sorti la tête d’en dessous de l’échelle. Ensuite, me servant de sa tête comme la première marche, j’ai mis le pied dessus, et je suis montée.
Ensuite, j’ai vu un jardin immense où il y avait un homme aux cheveux gris assis, habillé comme un berger; il était grand, et il faisait la traite des brebis. Debout autour de lui, il y avait des milliers et des milliers de personnes habillées en vêtements blancs. Il a levé la tête, m’a regardée, et a dit, “Je suis heureux que tu sois venue, mon enfant.” Il m’a appelée vers lui et m’a donnée, pour ainsi dire, une bouchée de ce lait qu’il était en train de traire; et je l’ai prise dans mes mains en coupe, et je l’ai consommée. Et tous ceux qui étaient debout tout autour ont dit: “Amen!” Au son de cette parole j’ai repris conscience, et j’avais toujours un goût sucré à la bouche. J’ai immédiatement raconté cela à mon frère, et nous nous sommes rendus compte que nous allions souffrir, et qu’à partir de ce moment là, nous n’aurions plus d’espoir dans cette vie ».
Et voici le récit de sa mort :
« Le jour se leva, où les martyrs allaient remporter la victoire, et ils sortirent de la prison pour s’avancer vers l’amphithéâtre comme s’ils allaient au ciel. Ils avaient des visages gais et radieux, et s’ils tremblaient, c’était de joie, non de peur. Perpétue, la première, fut frappée par les cornes d’une vache furieuse et tomba à la renverse. Puis elle se releva et voyant que Félicité avait été précipitée sur le sol, elle s’approcha, la prit par la main et l’aida à se redresser. Toutes deux demeurèrent debout. La cruauté du peuple s’apaisa et on les fit sortir par la porte des Vivants. Là, Perpétue fut accueillie par un certain Rustique, alors catéchumène qui était à son service et, comme si elle sortait du sommeil (tellement elle avait été ravie en extase), elle se mit à regarder autour d’elle et dit, à la surprise de tous : ‘ Quand donc serons-nous exposés à cette vache dont on parle ? ’ Et quand elle apprit que cela avait déjà eu lieu, elle ne le crut pas avant d’avoir reconnu sur son corps et sur ses vêtements les marques des coups. Alors, après avoir appelé son frère et ce catéchumène, elle les exhorta ainsi : ‘ Demeurez fermes dans la foi, aimez vous tous les uns les autres, et ne soyez pas ébranlés par nos souffrances ’. De même, Saturus, à une autre porte, s’adressait ainsi au soldat Pudens : ‘Finalement, comme je l’avais pensé et annoncé par avance, je n’ai vraiment rien souffert d’aucune bête jusqu’ici. Et maintenant, crois de tout ton coeur: voici que je vais au-devant du léopard, et par une seule de ses morsures je parviens au but ’. Et aussitôt, à la fin du spectacle, il fut livré à un léopard. A la première morsure, il fut tellement inondé de sang que le peuple, lorsqu’il revint, cria, comme si l’on était aux bains : ‘ Baigne-toi et bonne santé ! Baigne-toi et bonne santé ! ’ Ce cri témoignait qu’il avait reçu le second baptême, celui du sang. Et, certes, après un tel bain, il avait trouvé le salut. Alors il dit au soldat Pudens : ‘ Adieu, garde mon souvenir et garde la foi. Que tout cela, au lieu de t’ébranler, te fortifie ’. En même temps il lui demanda l’anneau qu’il portait au doigt et, après l’avoir plongé dans sa blessure, il le lui remit en héritage, lui laissant cette relique, ce mémorial de son sang. Puis, comme il est inanimé, on le jette avec les autres dans le local où l’on devait les égorger. Mais, comme le peuple les réclamait au milieu de l’arène pour être témoin oculaire de leur mise à mort en voyant l’épée s’enfoncer dans leurs corps, ils se levèrent d’eux-mêmes et se portèrent à l’endroit voulu par le peuple. Mais d’abord ils s’embrassèrent pour achever la célébration de leur martyre par le rite du baiser de paix. Tous reçurent le coup d’épée, immobiles et silencieux; en particulier Saturus qui rendit l’esprit le premier, lui qui était monté le premier à l’échelle de la vision de Perpétue, pour attendre celle-ci. Perpétue, quant à elle, devait faire l’expérience de la douleur: frappée entre les côtes, elle poussa un grand cri ; puis, comme la main du gladiateur débutant hésitait, elle la poussa elle-même sur sa gorge. Sans doute une telle femme ne pouvait-elle être mise à mort autrement, elle qui faisait peur à l’esprit mauvais: il fallait qu’elle-même le veuille ».

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