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Joaquin Almunia, Commissaire européen aux Affaires économiques et monétaires, pense que les problèmes de l’Espagne sont similaires à ceux de la Grèce. Et beaucoup sont d’accord avec lui.

Eric Le Boucher l’avait déjà prédit dans un article sur l’arnaque grecque publié il y a quelques semaines. Si la situation du pays hellène était inquiétante, ce n’était rien par rapport au danger pour l’Union Européenne de voir l’Espagne sombrer dans la spirale de la crise.

Et, malheureusement, il semble bien que les pires augures soient en train de se réaliser. C’est en tous cas le sentiment qui règne ces temps-ci en Espagne.

Un quotidien difficile

Lundi matin, devant l’un des bureaux de l’INEM (l’ANPE espagnole) à Barcelone. Une matinée pluvieuse et grise qui n’empêche pas l’arrivée constante et ininterrompue des nombreuses personnes venant demander les aides de l’État pour les chômeurs. L’ambiance est très calme et l’organisation d’une clarté déconcertante. Une employée accueille chaque personne, l’aide à choisir le numéro de sa file d’attente et la dirige près du comptoir correspondant. Une espèce de fatalité coutumière règne dans la salle. Comme si chacun savait ce qu’il avait à faire, comme si tout le monde se connaissait. Car, pour beaucoup de gens, ce n’est pas la première fois qu’ils se retrouvent au chômage.

«Cela fait deux ans que j’enchaîne des petits boulots. Je travaille 5 mois puis je me retrouve au chômage et je travaille à nouveau. Mais rien de vraiment stable», explique Rosa, mère divorcée de 51 ans ayant deux enfants à charge, un sourire résigné aux lèvres. «Avant j’avais un studio de design mais, avec mon divorce, j’ai du m’occuper de mes enfants et maintenant on me propose des salaires ridicules». Une impuissance que partage Gustavo, un expatrié italien qui vit à Barcelone depuis 5 ans et qui est sans emploi depuis avril 2009. «Quand je suis arrivé, il n’y avait pas plus de 30 ou 40 candidats pour un nouveau poste de travail. Maintenant il y en a presque 200 à chaque fois. Quand j’envoie mon CV on me dit souvent qu’ils ont déjà trop de demandes», confirme-t-il.

Ils font partie des plus de 4.000.000 de chômeurs déclarés en Espagne (le pays a dépassé ce chiffre il y a quelques semaines). A cela, il faut ajouter une grande précarité des postes, des bas salaires et le sentiment que l’État ne fait pas assez pour aider ces personnes en difficultés. «Cela fait quatre mois que je suis au chômage et comme mon dernier emploi n’a duré qu’un an et demi, j’arrive en fin de droits. Et je viens pour demander l’aide familiale du gouvernement», explique Lourdes, une mère divorcée avec un enfant à charge. «Mais qu’est-ce que je vais faire avec 425 euros?», s’exclame-t-elle. «Et, en plus, le gouvernement la retire dès que tu retrouves un travail, même si tu gagnes 600 euros», s’indigne de son côté Rosa, qui est venue à l’INEM pour les mêmes raisons.

L’immobilier, toujours l’immobilier…

Un taux de chômage de près de 19%, un gouvernement hésitant et contradictoire, un déficit record de 11,4% en 2009, des menaces de grèves générale… Autant de facteurs qui aident à envenimer la situation espagnole. On est loin du miracle économique de ces dernières décennies. La crise est évidement passée par là. Mais l’impression qui existe chez les gens est que le pays était moins prêt à l’encaisser que d’autres. «L’économie espagnole s’est développée ces 20 dernières années sur la spéculation immobilière et le tourisme», affirme Gustavo en résumant le malaise général qui règne dans le pays autour de cette fameuse economía del ladrillo (la bulle de l’immobilier).

Mais le problème s’étend bien au delà de la faillite massive des entreprises de l’immobilier et du marasme que cela a représenté pour l’économie du pays. Il y a un énorme problème de logement quotidien. «Soit tu manges soit tu te loges. Le loyer est scandaleusement élevé. On est en train de payer des sommes disproportionnées par rapport aux salaires» affirme révoltée Rosa, qui explique qu’elle est en train de partager son appartement avec une autre mère divorcée (et ses deux enfants), comme «au temps de la guerre». C’est aussi le cas de René, un émigré cubain qui vient de perdre son travail dans une entreprise de meubles, et qui partage son appartement avec sa petite amie et la sœur de celle-ci.

Un plan d’austérité contesté

Face à ces difficultés quotidiennes, le gouvernement socialiste de José Luis Rodriguez Zapatero tente, tant bien que mal, d’apaiser ce climat d’inquiétude général et d’estomper les doutes qui existent sur la solidité du pays. Pour cela, l’exécutif a approuvé un plan d’austérité pour les quatre prochaines années, dont l’un des objectifs est de montrer aux dirigeants de Bruxelles que la situation n’est pas comparable à celle de la Grèce. Un paquet de mesures macroéconomiques qui s’accompagne d’une réforme des retraites et d’une incitation à favoriser les CDI. L’objectif du gouvernement étant de réduire les dépenses de près de 50.000 millions d’euros pendant cette période et de revenir aux 3% de déficit du PIB prévus par le Pacte de stabilité européen, en 2013. Un but ambitieux que les socialistes veulent atteindre progressivement (9,8% de déficit en 2010, 7,5% en 2011 et 5,3% en 2012) grâce à une augmentation, de 30,4% à 34,2%, de la pression fiscale et à une réduction des emplois et de l’investissement public.

Des décisions risquées et polémiques qui visent surtout à faire taire l’agressivité des analystes européens envers le marché espagnol. Car c’est une surprenante pluie de critiques qui s’est abattue, ces derniers jours, sur le pays ibérique. En plus des propos d’Almunia, le ministre grec de l’Économie, George Papaconstantinou, n’a de cesse de rappeler que le Portugal ou l’Espagne vont suivre le même chemin que le pays hellène. Il en va de même pour de réputés économistes, comme Nouriel Roubini ou Paul Krugman qui parle de «collapse économique» espagnol, ou du FMI qui, par le biais de son directeur Dominique Strauss-Kahn, avertit qu’il faudra «un effort considérable» pour sortir le pays de la crise.

Il n’est donc pas étonnant que, dans ce contexte d’instabilité générale, l’Ibex 35 (le principal indice de référence de la Bourse espagnole) ait subi sa plus forte chute depuis 14 mois en perdant près de 6%. Ce qui effraie le plus les spéculateurs sont, sans doute, les climats d’instabilité et d’incertitude. Face à ce raz-de-marée apocalyptique, le pays a vécu une levée de boucliers générale. La ministre de l’économie, Elena Salgado, répondant aux affirmations de Joaquin Almunia, a rappelé que «cela fait longtemps que le gouvernement fait ses devoirs pour sortir de la crise». Même les présidents de deux des plus grosses banques du pays ont du venir en aide à l’exécutif face à l’ampleur des doutes. Emilio Botín, responsable du Banco Santander, a dit, non sans humour, que «comparer l’Espagne à la Grèce c’est comme comparer le Real Madrid à l’Alcoyano [un tout petit club de foot]», tandis qu’Isidre Fainé, président de La Caixa, affirme que le marché «punit notre dette et surtout notre image de pays».

Une attaque contre l’euro?

Une analyse que partagent une grande majorité des consultants économiques. «Au final, les bourses ne croient pas au programme d’austérité du gouvernement et à la réduction du déficit espagnol», affirme Julian Callow, de Barclays. Une «voie étroite de la crédibilité», comme l’affirmait Gilles Bridier, que le gouvernement de Zapatero ne semble pas avoir réussi à emprunter. Ce n’est pas seulement un problème espagnol mais de la zone euro, se défend l’exécutif en écho aux mêmes affirmations des dirigeants grecs qui parlaient, il y quelques semaines, d’attaque à la monnaie européenne.

«Derrière les attaques successives contre la dette de plusieurs pays on peut imaginer une offensive contre la zone euro, l’architecture institutionnelle de l’Europe et peut-être même l’euro», explique Santiago Carbó, consultant de la Reserve Fédérale Américaine. Comme l’explique bien Eric Le Boucher, c’est la question des institutions européennes fédérales et centralisées qui se pose. Dans cette optique, l’Espagne ne serait que le nouveau maillon faible européen. En attendant le prochain. On parle déjà de l’Italie,,,

Ce n’est donc peut-être pas un hasard si les attaques des médias britanniques contre la zone euro se sont endurcies ces derniers temps. Un récent article du Financial Times, répartissait la faute de la crise entre le problème de la dette espagnole (le gouvernement estime qu’elle atteindra 74,3% du PIB en 2012) et «les doutes quant à la cohésion de la zone euro». Même discours pour Daniel Franlin, le directeur exécutif de The Economist, qui note qu’il y a «beaucoup de difficultés similaires en Espagne et en Grèce». Car les britanniques sont les premiers à rappeler que la monnaie unique n’est pas doublée d’une politique fiscale commune ou d’une totale mobilité de la main d’œuvre.

Tu l’aimes ou tu la quittes

Et il semble bien que les analystes ne soient pas les seuls à redouter les effets de l’euro. «Tout est devenu beaucoup plus cher depuis l’euro», affirme René. «Avant un café coûtait 80 centimes d’euros. Maintenant c’est presque 1,30 euros», se résigne Lourdes, qui affirme que le pouvoir d’achat a dégringolé depuis le début de la crise. En plus, «l’Espagne est le seul pays du G20 qui n’est pas sorti de la récession lors du dernier trimestre de 2009», rappelle Gustavo. Une situation difficile à laquelle le gouvernement de Zapatero semble vouloir faire face. Pour cela, faute d’un véritable pouvoir politique européen, il faudra qu’il regagne la confiance des marchés. C´était l’objectif du récent voyage d’Elena Salgado à la City londonienne. Seul le temps permettra de savoir si elle a réussi. Mais une chose est sûre, c’est l’Union européenne qui reste la proie privilégiée des critiques. Que ce soit de la part des citoyens espagnols qui (comme une bonne partie des européens) voient en elle une des causes de la crise (et des problèmes en général). Ou que ce soit de la part des marchés qui voient dans sa faiblesse institutionnelle une brèche où se faufiler.

Une brèche qui s’appelle maintenant Espagne. «Je connais beaucoup d’expatriés qui sont partis ou qui veulent partir» affirme même Gustavo et il y aura un moment où «moi-même je devrais me poser la question». Quand on lui demande pourquoi il ne l’a pas déjà fait, il sourit et répond comme une évidence: «parce que la qualité de vie que j’ai ici est incomparable». C’est aussi l’un des atouts majeurs du pays. En attendant les beaux jours, l’Espagne va encore connaître de nombreux lundis pluvieux et désenchantés.

Slate

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