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Ils sont techniciens, infirmiers ou instituteurs… Ils appartiennent à la partie la plus modeste de la classe moyenne et souffrent d’un “malaise résidentiel”. 40 % d’entre eux aspirent à déménager, mais plus d’un tiers (34,8 %) pensent qu’ils ne pourront pas le faire.
Au moment même où est rendu public le 15ème rapport annuel sur le mal-logement, réalisé par la Fondation Abbé-Pierre, cette étude inédite met au jour les conditions de logement, le parcours résidentiel, les motifs d’insatisfaction et les aspirations des classes moyennes.

Intitulée “Le logement, facteur d’éclatement des classes moyennes ?”, cette recherche, menée en 2009 auprès de 4.000 actifs âgés de moins de 65 ans par deux chercheurs de l’université Paris-Dauphine, a été réalisée pour le compte de la Confédération française de l’encadrement-CGC. Elle montre que le logement est désormais un élément de clivage au sein même des classes moyennes et de “décrochage” d’environ un tiers d’entre elles.

Objet majeur d’investissement personnel, l’habitat a longtemps permis aux classes moyennes de se différencier des classes populaires. Une époque révolue. Pour mesurer ce phénomène, les auteurs, François Cusin et Claire Juillard, sociologues spécialistes de la ville, du logement et de l’immobilier, en collaboration avec Denis Burckel, un expert du logement, ont construit leur panel par niveaux de revenus.
Trois catégories ont été retenues : “la classe moyenne inférieure” (moins de 1.800 euros net pour un célibataire et moins de 2.700 euros pour un couple), “la classe moyenne intermédiaire” (de 1.800 à 2.500 euros et de 2.700 à 3.750 euros) et “la classe moyenne supérieure” (de 2.500 à 4.400 euros et de 3.750 à 6.600 euros.
Ses différentes strates partagent des caractéristiques communes. Les classes moyennes habitent plus souvent dans les villes (25,1 %) et en banlieue (35,9 %) que dans le périurbain. Elles sont plus souvent propriétaires (51,7 % contre 39,4 %) et deux fois moins locataires du parc social (7,8 % contre 15,2 %) que le reste de la population active.
Mais cette unité de façade cache de fortes disparités. Le taux de propriété croit nettement avec le revenu, passant de 39,8 % pour la strate inférieure à 63,5 % pour la catégorie supérieure.
“L’accès à la propriété est une aspiration qui est très forte chez les classes moyennes”, analyse Régis Bigot, directeur adjoint du département conditions de vie au Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc). “Mais pour une partie de la population, la marche vers l’accession est devenue beaucoup trop haute.”
La trajectoire résidentielle n’est pas toujours ascendante, notamment chez les plus modestes. “Plus précaire du fait de la faiblesse de son pouvoir d’achat et de la fragilisation de son parcours professionnel, la classe moyenne inférieure peut se trouver en situation de “propriété captive””, explique François Cusin. Pour preuve, lorsqu’elle est contrainte de déménager, elle paye le prix fort : 28,4 % de ces ménages ont ainsi perdu leur statut de propriétaire lors de leur dernier déménagement.

Globalement, le logement pèse de plus en plus lourd sur le budget des Français. Selon une étude du Crédoc de mars 2009, les dépenses “contraintes” (principalement le logement, mais aussi le gaz, l’électricité, les assurances…) représentaient seulement 21 % du budget des classes moyennes inférieures en 1979, contre 38 % aujourd’hui. Mais cette charge est proportionnellement plus importante pour les revenus modestes ou intermédiaires.

Les travaux de l’économiste Gabrielle Fack révèlent ainsi que les taux d’effort net (charges comprises, aides au logement déduites) des ménages moyens ont augmenté de 22 % à 30 % entre 1998 et 2006 pour les accédants à la propriété et de 19 % à 30 % pour les locataires du parc privé. Cette progression a été beaucoup moins rapide chez les hauts revenus (de 18 % à 21 % pour les accédants à la propriété et pour les locataires du parc privé sur la même période).

Faute de pouvoir devenir propriétaire, les classes moyennes se replient alors majoritairement vers le parc locatif privé. Eligibles pour la plupart aux logements du parc social, “elles préfèrent s’y maintenir à distance par méconnaissance de leurs droits, mais aussi parce qu’elles le considèrent comme synonyme de déclassement”, constatent les chercheurs de Dauphine.
Ces trajectoires résidentielles de plus en plus heurtées entretiennent les frustrations et la peur du déclassement résidentiel. Beaucoup se plaignent de leurs conditions de logement. La cherté, le bruit et l’inconfort arrivent en tête des griefs, en particulier dans la frange inférieure des classes moyennes. Ce sont elles qui pourront pourtant le moins déménager en raison de l’insuffisance de leurs ressources et des incertitudes de leur situation professionnelle.
“A la panne de l’ascenseur social, se superpose désormais une panne de l’ascenseur résidentiel”, constate Christophe Robert, de la Fondation Abbé-Pierre, qui s’alarme dans son 15ème rapport annuel sur le mal-logement, dévoilé lundi 1er février, des inégalités croissantes face au logement.
Cette perte de confiance dans la possibilité d’un parcours résidentiel ascendant engendre, selon François Cusin, des stratégies défensives particulièrement repérables dans le choix de localisation. “Au prix d’efforts importants, les classes moyennes s’accrochent à un quartier qu’elles considèrent conforme à leur statut et qui leur permet de maintenir au moins un entre-soi.”
Le Monde
Second article lié :
Depuis un mois, Véronique Descamps, 43 ans, épluche les petites annonces à la recherche d’une location à Lyon ou dans sa proche banlieue. Une situation inédite pour cette employée de banque, qui pendant vingt ans a été propriétaire. Divorcée, mère de deux enfants dont un encore à charge, Véronique “n’a jamais roulé sur l’or” mais “s’est toujours débrouillée”. Aujourd’hui, avec 1.500 euros net par mois, elle n’a plus les moyens d’être propriétaire, et galère pour devenir locataire.
Son premier appartement, Véronique l’a acheté en 1990. Un T3 à Vaulx-en-Velin, une banlieue à la mauvaise réputation mais aux prix attractifs. Elle y a vécu neuf ans. En 1999, elle profite de la hausse des prix pour déménager, “même en banlieue, on vendait facilement” et achète un logement plus grand, à 40 km de Lyon.
A chaque acquisition, le scénario est le même, un peu d’apport et un gros emprunt. Une séparation et “tous les inconvénients d’un domicile loin de son lieu de travail” la poussent à revendre au bout de quelques années. En 2005, la voici de nouveau propriétaire d’un trois-pièces d’une valeur de 160.000 euros, situé dans la périphérie lyonnaise. Elle contracte alors un prêt de 130.000 euros sur 25 ans. Pendant cinq ans, elle “jongle” avec un budget serré amputé par les 600 euros de traite mensuelle. “J’arrivais à m’en sortir, car à l’époque je travaillais sur un poste commercial avec une part variable, explique Véronique. Je gagnais alors en moyenne 1.700 euros.”
Mais depuis que, pour des raisons de santé, elle a fait le choix de rejoindre une unité non commerciale, et du coup de perdre cette partie variable, c’est tout son fragile équilibre financier qui vacille.
Pour boucler ses fins de mois, Véronique commence à faire appel à des crédits à la consommation. Malgré des économies sur le budget nourriture, “150 euros maximum par mois”, sur les vacances “plus question de partir”, Véronique se rend compte qu’elle est en train de “s’étrangler” avec au total 800 à 900 euros de remboursements.
Renégocier un prêt immobilier ou vendre, elle est confrontée à un dilemme. Véronique opte, à contrecoeur, pour la seconde solution. “La vente me permettait au moins de solder mes dettes”, raconte-t-elle. “Je n’avais pourtant pas envie de quitter mon logement.” D’ici à mars, elle devra avoir trouvé une location, un autre parcours du combattant, malgré des arguments bien rodés. “Je travaille dans la même entreprise depuis 20 ans, j’ai un peu d’argent de côté que je suis prête à sanctuariser comme garantie… Pourtant, si votre salaire n’est pas au moins équivalent à trois fois votre loyer, c’est compliqué.”
Tous les jours, elle fait le même constat : “Même pour les classes moyennes, l’accès au logement est de plus en plus difficile”, avant de relativiser : “pour d’autres, c’est pire”. Elle pense bien à des solutions : “revoir les aides au logement, encadrer les prix des loyers, de vente”… Puis se ravise : “Est-ce que c’est raisonnable pour les propriétaires ? Je ne sais pas, je ne suis plus de leur côté… “
Le Monde

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