Fdesouche

Michèle Saint-Marc, conseillère de la politique monétaire de la Banque de France, estime que d’autres «Lehman Brothers sont à craindre.» Elle rappelle les différents États à leur devoir de sanction auprès des banques.

Le renforcement des règles prudentielles bancaires approuvé par le Comité de Bâle fait grincer des dents au sein des banques françaises. Afin d’en savoir un peu plus sur les conséquences que ces mesures auraient pour le secteur bancaire, nous avons contacté les trois principales banques françaises, BNP Paribas, Société Générale et Crédit Agricole. Toutes se sont refusées à tout commentaire, arguant, d’une part, que l’épaisseur du document (150 pages) nécessitait une étude encore plus approfondie de la question, et d’autre part, que ces mesures pouvaient faire l’objet d’amendements. Michèle Saint-Marc, conseillère de la politique monétaire de la Banque de France, a accepté de répondre à nos questions.

Lefigaro.fr : Le comité de Bâle vient d’approuver une série de mesures destinées à renforcer la régulation des capitaux et des liquidités du secteur bancaire. Pensez-vous qu’elles permettront d’éviter un nouveau «Lehman Brothers» ?

Michèle Saint-Marc : Il est malheureusement certain qu’il y aura d’autres faillites de géants financiers. Le renforcement des règles prudentielles ne garantit pas contre un nouveau Lehman pour au moins trois causes : le contournement des règles s’ajoute au «shadow banking system» qui subsiste ou même se développe dès maintenant dans les endroits plus subtilement protégés, et aux différences entre les normes comptables aux États-Unis et celles de l’Europe.

Il ne faut pas pour autant dire comme certains que la montagne du G 20 a accouché d’une souris, car les responsabilités n’auraient été dévoilées que dans la mesure où elles étaient politiquement correctes (rôle de la Fed et des contrôles aux États-Unis), que l’unité est de façade, que les paradis fiscaux (shadow banking system totalement hors contrôle) restent paradisiaques, que les incitations aux excès (bonus et dividendes) restent en place sauf exception.

Le comité souhaite renforcer la qualité du capital de base «Tier One» des banques, afin de permettre aux établissements de mieux absorber d’éventuelles pertes. Comment assurer une meilleure transparence autour de ce capital ?

Les États doivent obliger les banques à publier le contenu de leurs opérations, et à se doter d’un ratio d’endettement pour contenir leurs dettes et éviter des couvertures illicites. Il est donc primordial de revoir la pondération des actifs et de redéfinir les engagements hors-bilan. Au lieu de répéter sans cesse qu’elles sont trop contrôlées alors que les hedge funds ne le sont pas, les banques dépositaires, qui travaillent avec les hedge funds, devraient mieux faire leur travail pour évaluer de manière plus efficace les risques. Le métier de base d’un banquier n’est-il pas de mesurer les risques qu’il prend pour en déduire les coûts et profits qu’il peut supporter ? Le G20 de Londres a réussi une première avancée, puisque désormais les hedge-funds seront recensés, ce qu’ils n’étaient même pas auparavant.

Les banques françaises affirment que les mesures proposées par le comité de Bâle les pénaliseront plus que leurs homologues européens ou internationaux. Qu’en pensez-vous ?

Il est vrai qu’elles seront plus pénalisées, car l’économie française est davantage financée par les crédits bancaires que par les marchés financiers. Néanmoins, cela ne doit pas être un argument pour ne pas appliquer ces règles.

L’action Crédit Agricole a quand même perdu 5% jeudi dernier et plus de 7% le lendemain.

Ces baisses répétées sont dues à ce que je considère comme des effets d’annonce des analystes qui veulent réaliser des coups spéculatifs. Il est vrai qu’une régulation plus détaillée et mieux contrôlée entraînera des coûts supplémentaires pour les banques, ce qui pèsera sur les dividendes, les profits et … les bonus. Mais les petits porteurs doivent investir à moyen terme et non pas sur des prévisions de volatilité spéculative.

Michel Barnier, candidat désigné pour le poste chargé des services financiers dans la prochaine Commission européenne, s’est prononcé en faveur d’une « régulation efficace, mais pas excessive ». N’y a-t-il pas en effet un risque que l’activité bancaire devienne trop onéreuse en termes de capital ?

Une bonne régulation appliquée et contrôlée, et même sanctionnée s’il le faut, est indispensable. Les banques redoutent que ces mesures ne leur permettent plus d’accorder des crédits et augmentent leurs besoins en fonds propres. C’est leur grand argument face aux politiques qui veulent mieux les réguler. Mais elles n’ont rien à craindre de ces mesures, puisqu’elles sont mieux régulées que les banques de la zone Euro.

La Chine va imposer les règles de Bâle à ses banques. Qu’est-ce que vous inspire cette décision ?

Si la Chine envisage d’imposer ces règles, c’est pour une question de politique intérieure. En effet, les succursales des banques chinoises en province, éloignées de la capitale, sont mal contrôlées par le pouvoir central qui en profiterait pour mettre de l’ordre, et pas seulement financier, dans quelques provinces. Maintenant, toutes les craintes autour d’un «Lehman Brothers à la chinoise» sont infondées. La Chine possède une telle vitesse d’adaptation qu’elle peut éviter un risque systémique. Son importance financière ne doit pas être surévaluée puisque son plus gros fonds souverain pèse quasiment autant que les fonds scandinaves (ndlr : selon le « Financial Times » et les médias chinois, le fonds souverain chinois, doté de 300 milliards de dollars, pourrait bénéficier d’une injection de 200 milliards de dollars). Ce ne sont pas encore les États Unis.

Pensez-vous que les États-Unis vont également s’y soumettre ?

En ce qui concerne les États-Unis, il semblerait qu’une adoption soit envisagée pour 2011. Ce qui placerait les banques américaines sur un pied d’égalité concurrentiel avec les banques européennes. Maintenant, ces belles paroles doivent laisser place aux actes, et je ne suis pas certaine que les Etats-Unis les mettront réellement en application. N’ont-ils pas affirmé que ces mesures n’étaient d’aucune utilité pour contrecarrer la crise financière ?

Le Figaro

Fdesouche sur les réseaux sociaux