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Extraits d’une tribune libre parue dans La Revue Républicaine – 22/11/09
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« Vérifier que le meurtre est parfait »

C’est un spectacle : le dénigrement de soi a tant gagné les bien-pensants, par hantise de ce qu’ils nomment nationalisme, qu’en toute occasion, ils mettent un point d’honneur retourné à proclamer que la France est passée, et que lui est préférable toute appartenance de substitution, qu’elle soit ethnique, raciale ou religieuse, atlantique ou européenne, à moins qu’on ne se contente du nébuleux statut de « citoyen du monde » qui évapore toute identité, et toute citoyenneté, dans le grand magma du marché unique, de la culture et de la langue unique, finalement de la politique unique, c’est à dire du plus banal conformisme impérial…

« Vive les autres, à bas la France ! ».

Tout plutôt que la Nation, comme si la France ne disait plus rien. (…) Le mépris de soi est tel que, de la sentence de Paul Valéry, « nous savons que les civilisations sont mortelles », la bien-pensance déduit qu’il faut coûte que coûte tuer la notre.

L’identité de la France alla longtemps d’elle-même : on était Français parce qu’on parlait français, que l’on respectait les héritages d’une civilisation construite par les valeurs de la foi, que le triptyque « Liberté, égalité, fraternité » n’a fait que retranscrire en langue laïque, valeurs et langues autour desquelles s’est forgé au fil des siècles un imaginaire propre, tel que l’expriment des éléments aussi divers que le patrimoine littéraire ou artistique, un code d’usages et de manières de vivre, ou les fêtes du calendrier : en somme une civilisation singulière, parmi les autres civilisations tout aussi singulières, chacune faisant vivre la diversité du monde.

«Tout ce que vous voulez, sauf Français — ne pas préciser “de souche”, ce mot est interdit.»

Mécaniquement lié à ce pilier civilisationnel, un second pilier, plus politique, allait tout autant de soi : on était Français parce que l’on ressortait d’un territoire aux frontières sûres sur lequel s’exerçait un Etat souverain — la république reprenant le terme de souveraineté théorisé au XVIe siècle par Jean Bodin, qui ne faisait que reformuler l’adage médiéval « le roi de France est empereur en son royaume » et qui fut toujours le fondement de la légitimité politique.

La France n’étant pas une race, cela dès le lointain roi franc Clovis, son identité est nécessairement marquée d’une bonne dose de politique, autre nom d’une souveraineté qui, contre les récurrentes menaces des empires, fut toujours la clef de voûte de notre appartenance politique, d’où le succès durable dans notre imaginaire collectif des grands figures de la résistance, du formidable élan populaire de Bouvines aux conscrits de Valmy, de la geste de Jeanne d’Arc à celle des volontaires des maquis, à cette France combattante à laquelle Romain Gary donna cette enseigne : « Notre pays n’est pas la France, c’est la France libre », qui claque comme le résumé fier et magnifique de l’histoire de France.

Une civilisation singulière, une souveraineté opiniâtre pour la défendre : deux piliers si indépassables que la notion la plus moderne de la Nation, ce « vouloir vivre commun » que développa Renan dans sa fameuse conférence de 1882, que tout le monde cite sans l’avoir lue en son entier, et qui dans son esprit les suppose toutes deux, Renan insistant à juste titre sur la langue. Il y a quelques années encore, tout cela allait de soi, et la Ve République à ses débuts fit la preuve qu’ils étaient parfaitement formulables dans les termes du XXe siècle.

Or, il arriva que ces deux piliers constamment réactualisés de génération en génération depuis des siècles furent tout à coup publiés comme obsolètes par la France officielle qui sortit de cette révolution culturelle parfaitement réussie que fut le mouvement de 68 et qui, au fil des années 70 et 80 prit l’un après l’autre les commandes de nos institutions, universitaires, religieuses, éditoriales et médiatiques, et de proche en proche politiques.

Qu’il s’agisse de nos élites, du moins les patentées, de nos ténors politiques, du moins les autorisés, ou de nos gouvernants, il n’est plus question que d’éradiquer le vieux monde, aussi bien notre singularité de civilisation que notre souveraineté politique.

Il n’est que de prendre le cœur du cœur civilisationnel et politique, la langue française, pour mesurer l’ampleur vertigineuse de brutal renversement : un ministre (des universités) peut désormais claironner qu’elle s’exprime à l’étranger en anglais (alors même qu’elle peut utiliser un système de traduction) parce qu’elle estime être alors mieux comprise — peut-être même d’elle-même… — ou annoncer son intention de multiplier les épreuves universitaires en anglais (en l’occurrence en américain), la voici portée au pinacle de la modernité ; une autre peut truffer un entretien d’expressions anglo-américaines en s’excusant : « Pardon, mais ça me vient comme ça » ; un troisième peut justifier l’enseignement en bas âge de l’anglo-américain, alors que les structures du français sont encore loin d’être maîtrisées, parce que cette langue est réputée « La langue de la mondialisation » (le français est pourtant l’une des deux seules langues de travail de l’ONU…) ; un autre encore peut nier en sifflotant la loi de 1994 et autoriser les services publics à servir « la clientèle » (sic !), dans des langues étrangères (anglo-américain dans l’Ouest, arabe, ou wolof dans le Sud ou certaines banlieues) ; un autre encore flairer des « relents de colonialisme » dans la francophonie (dimension d’ailleurs abandonnée de notre politique, avec elle les sommets francophones), le président de la République peut lui-même dauber sur l’utilité du patrimoine littéraire (« à quoi sert de connaître la Princesse de Clèves ? ») ou faire supprimer les épreuves de culture générale de certains concours administratifs, un professeur d’université peut proclamer en une du Monde que la langue française est « morte et pourrissante », etc… A ces innombrables coups de poignard, nulle sanction au contraire : les Modernes applaudissent et nomment ringards ceux qui s’alarment — quitte à les amuser ensuite par de grands débats sur l’Identité…

Encore n’évoquais-je ici que l’élément le plus consensuel et unificateur de la Nation : que ne pourrait-on dire de la générale « préférence nationale à l’envers » accordée à tout ce qui n’est pas français, de l’annonce triomphante par les radios du service public des dates du « printemps chinois » ou du ramadan tandis que celles du Carême sont passées sous silence, du soin obsessionnel et méticuleux à présenter le passé national comme critiquable ou odieux (qui veut abattre son chien dit qu’il a la rage), de la célébration de la défaite de Trafalgar quand sont passées sous silence les victoires d’Austerlitz ou de Bir-Hakeim, et des mille et une formes de « discrimination positive » qui consiste à favoriser l’autre, quel qu’il soit plutôt que nous mêmes ?

« Vive les autres, à bas la France ! » : cette stupéfiante xénophilie tous azimuts qui commença dans les années 70, notamment par l’abolition des frontières (ces jours ci présentées comme autant de « murs » bien entendu à abattre !), un insistant appel à l’émigration de nos jeunes diplômés (récemment vantée par Mme Lagarde), dans le temps où l’on encourage et aménage au mieux l’immigration, explicitement dite « choisie », tant réclamée par le patronat et dont un grand patron français donna une illustration stupéfiante en annonçant au lendemain du 11 septembre qu’il affiliait son groupe à la bourse de New York par patriotisme (sic) ; c’est bien connu, « Nous sommes tous Américains », comme le proclamait au même moment l’éditorialiste du Monde — notons aussi la variante du « peuple européen » introduite dans notre droit par le traité de Lisbonne, et cette autre, « nous sommes tous des immigrés »

En somme tout ce que vous voulez, sauf Français — ne pas préciser « de souche », ce mot est interdit.

Quant au pilier politique, la souveraineté, c’est très peu dire que nos oligarchies se sont évertuées à la saper, jusqu’à saper son arc-boutant moderne, la démocratie. Il est non point admis, mais obligatoire de considérer la souveraineté nationale comme dépassée, pour cause d’Europe un jour, de solidarité atlantique un autre jour, d’ouverture internationale, à moins qu’il ne s’agisse de défendre la souveraineté du Koweït, ou celle de la Bosnie-Herzégovine, ou celle de l’intouchable banque de Francfort.

Conséquences d’un pur et simple impérialisme qui a toujours tendu à désarmer la souveraineté des nations, et ce « nationalisme étroit » qu’on semble préférer en haut lieu au nationalisme large du grand Empire, qu’on s’obstine, OTAN oblige, à suivre jusqu’aux montages de l’Afghanistan.

Le plus frappant est que toutes ces aberrations dégoutent notre peuple, désormais orphelin de tout héritage, et d’ailleurs en déshérence ; mais que peut notre peuple quand la démocratie s’est volatilisée, sous la double espèce du Demos et du Kratos, c’est-à-dire du pouvoir et du peuple — cf. l’épisode du référendum sur la constitution Giscard, dont le résultat pourtant net fut purement nié ? Il lui reste à sortir de l’histoire, c‘est-à-dire à n’être plus que le jouet des puissances de fait, si évidemment à l’œuvre dans ce processus de dépossession.

C’est évidemment amuser la galerie, après ces avalanches, que de lancer des débats sur l’identité française : initiative saugrenue, voire sadique, mais il est vrai qu’un assassin aime toujours revenir sur les lieux de son crime, et vérifier que le cadavre est bien mort, quitte à s’apitoyer bruyamment en public sur les vertus du disparu et le malheur de sa perte.

Les chevaliers du Moyen-Âge, disait Malraux, ne s’interrogeaient pas sur l’identité de la chevalerie médiévale : ils se préoccupaient d’être, et leur être rayonnait. Voilà bien ce qui s‘évapore : non point tant l’identité (mot passablement maladroit, car nous pouvons constituer un peuple sans être identiques, et mieux vaut ne pas l’être…), mais l’être, l’essence, l’esprit de la France.

Le mieux, ou le pire, est qu’aucune des illustrations ici données de la haine de soi n’est le fait d’une fatalité mais d’une volonté, d’une action consciente venue précisément de nos oligarques de tous poils — économiques, médiatiques, politiques, lesquels constituent d’ailleurs une sorte de nation à part.

A force de mettre la France plus bas que terre, il est fatal qu’elle s’y trouve tôt ou tard ; c’est alors qu’on parlera d’elle avec des trémolos, vérifiant jusqu’à la caricature la vieille maxime de Montherlant : « C’est quand la chose manque, qu’il faut mettre le mot. »

Paul-Marie COÛTEAUX

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