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Au détour d’une réflexion sur les réactions de Wall Street aux difficultés de Dubaï et sur leurs implications, Philippe Béchade, collaborateur de La Chronique Agora, site « contrarien » que nous avons déjà cité, fait un parallèle entre la situation du petit émirat et deux des pays les plus vastes et les peuplés au monde, qui affichent une croissance économique insolente au milieu de la crise générale. Etrange ? Voire.

▪ Faire remonter les cours de Bourse à la moindre occasion, pour le moindre prétexte — plus ou moins crédible — est devenu un sport national réservé aux élites qui gèrent le quotidien à Wall Street. Le soutien volontariste des indices américains vendredi — afin d’éviter qu’un vent d’inquiétude souffle dans les travées des centres commerciaux américains en plein week-end de Thanksgiving — fut aussi peu discret que possible. Tant pis si les cours rechutent de 1% lundi… le mois de novembre ressort gagnant de 5% !

Mission accomplie : les consommateurs sont apparus plus nombreux (+9%) dans les centres commerciaux à l’occasion du “Black Friday” [vendredi noir] aux Etats-Unis. Le principal souci, c’est que la chasse aux bonnes affaires devient un mode de consommation dominant. Les distributeurs font du volume mais très peu de marge : le panier moyen a chuté de pratiquement 8%.

C’est plutôt favorable côté écoulement des stocks… mais la recherche systématique de prix bradés continue de tirer l’économie américaine vers un scénario de déflation. Beaucoup de commerçants annoncent une poursuite des soldes, ne serait-ce que pour faire concurrence à Amazon qui déclenchait son offensive sur les prix ce lundi — rebaptisé par les internautes “cyber-Monday”.

▪ La résilience de Wall Street vendredi visait également à renforcer la conviction que rien de mauvais ne saurait survenir cette année pour les détenteurs d’actions. Et ce, même si la crise de confiance qui a frappé l’émirat de Dubaï jeudi dernier ne constitue qu’un échantillon de ce que nous réserve la bulle immobilière en Chine — sans espoir de revoir sa mise si les banques de l’empire du Milieu se retrouvent emportées dans la tourmente des lignes de crédits irrécouvrables.

Le golfe Persique, c’est une éponge à pétrole qu’il suffit de presser un peu plus vigoureusement afin de déverser les liquidités là où les richissimes familles régnantes le jugeront utile. Aucun risque de voir les groupes financiers locaux mettre la clé sous la porte… ni de laisser les banques occidentales passer pour 40 milliards de dollars de provisions pour cause de créances douteuses. Cela n’a pas empêché la Bourse d’Abu Dhabi de chuter de 8,3% à la reprise des cotations et les titres Dubai World s’effondrer de 15%… mais c’est moins que les -25% anticipés.

Les enjeux ne sont pas que financiers. Ceux qui s’empressent d’affirmer qu’ils n’ont aucune exposition sur d’éventuels défauts de paiement indiquent de la même façon qu’ils se méfiaient probablement de la formation d’une bulle.

C’est la preuve que la situation à l’échelle mondiale est loin d’être stabilisée… Sinon, qui s’abstiendrait de financer les somptueux projets d’équipement mis en oeuvre par les pétromonarchies du Golfe, sachant que cela ouvre politiquement la porte à bien d’autres marchés très lucratifs ?

Mais il existe d’autres formes d’exposition au risque tel qu’il vient de se matérialiser à Dubaï ! Songez par exemple aux entreprises de génie civil qui construisent les adductions d’eau, les autoroutes et le métro, aux fournisseurs de matériaux de construction (marbre, isolants, verres spéciaux, équipements de sécurité des bâtiments), majoritairement occidentaux.

Ils sont désormais des centaines à espérer être payés un jour pas trop lointain. En attendant, ce sont bien les banques européennes, singapouriennes ou américaines qui les ont financés et qui se demandent comment ils vont faire face à d’importants retards de remboursement.

▪ En ce qui concerne l’économie locale des Emirats — outre la méfiance qu’elle suscite désormais –, il faut songer que des dizaines de milliers d’ouvriers (qui n’ont la possibilité de séjourner sur place que tant qu’ils sont salariés) ont déjà été renvoyés dans leur pays d’origine. Des centaines de chantiers sont à l’arrêt complet en attendant de nouveaux financements.

Deux tiers de la population des Emirats sont en fait soumis à un statut de travailleur précaire. Il n’existe aucune mesure de soutien temporaire — social, juridique ou financier — pour les personnes qui n’ont pas perçu leur salaire suite aux problèmes de trésorerie des entreprises qui les rémunéraient… Mais les milliers de retours forcés sans le moindre dollar en poche, cela n’émeut apparemment personne de ce côté-ci de la planète.

Sauf que le commerce local ne repose pas que sur le commerce de luxe, l’hôtellerie six étoiles et le souk de l’or. De nombreux négociants, prestataires de service, artisans… se voient soudain privés d’une bonne partie de leur clientèle.

L’économie de Dubaï va donc connaître des difficultés pour se refinancer. Elle subira également un effondrement du PIB comme il n’en aura jamais été observé dans la région — sauf en Irak mais, la comparaison n’est absolument pas pertinente.

Qui va rentabiliser les infrastructures de Dubaï — dimensionnées d’après des projections démographiques exponentielles (+400 000 “habitants” de mi-2008 à mi-2009) — si la moitié des personnes qui avaient encore un travail au début de l’année doivent quitter le territoire ? Les Emirats arabes unis, c’est aujourd’hui cinq millions d’habitants… dont 83% d’immigrés !

▪ Et maintenant, imaginez que le même scénario se déroule en Chine ou en Inde (cette dernière annonçait fièrement ce lundi une croissance de 8% en 2009). Ce ne sont pas seulement quelques centaines de milliers d’ouvriers qui se retrouveraient en quelques semaines sur le carreau (regagnant leur Egypte, leur Sri Lanka ou leur Malaisie natale)… mais des dizaines de millions de travailleurs pauvres qui n’auraient d’autre choix que de s’en retourner vers leurs campagnes où le chômage de masse et la misère sévissent déjà.

Cela créerait une situation sociale explosive. En effet, dans le même temps, les banques de ces deux pays — croulant sous les créances pourries — ne seraient plus en mesure de prêter aux industriels pour financer les salaires et des indemnités de licenciement lorsque cela existe. Elles ne pourraient plus non plus prêter à la classe moyenne, aujourd’hui surendettée pour l’achat d’une voiture, d’un minuscule logement, pour financer de meilleures études aux enfants, etc.

N’oublions pas qu’une semaine avant l’annonce du défaut de paiement des meilleures “signatures” de Dubaï, l’Emirat prévoyait encore 5% de croissance en 2009 après +14% en 2008. Il planifiait aussi une reprise au-delà des 6% en 2010 — ce pourrait être -6% en cas de désertion des entreprises occidentales… et de leurs salariés l’an prochain.

S’agissant des recettes de tourisme, avec un dollar en chute libre de 20% depuis le mois de mars, l’année 2009 est désolante. A plus long terme, compte tenu d’une météo de type “soleil de plomb” de fin mars à fin octobre (la mer est beaucoup trop chaude pour s’y baigner la moitié de l’année, tout du moins sur la frange littorale), il ne faut pas compter sur un développement comparable au Maroc ou à la Tunisie des années 80.

Ce n’est pas pour rien si les émiratis de souche passent la moitié de l’année entre Genève, Londres, Paris, Singapour ou la Côte est des Etats Unis. Leur fortune fait de même… l’argent liquide s’évapore traditionnellement moins vite dans les zones plus tempérées !

La Chronique Agora

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