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Les Islandais n’ont pas fini de payer l’addition de la crise financière. Leur niveau de vie devrait encore reculer de 16,5 % en 2010, selon les prévisions de la banque centrale. Presque du jour au lendemain, en octobre 2008, lors de l’implosion de son système bancaire, l’Islande, l’une des populations les plus riches de la Terre, en tête du palmarès du développement humain, est devenue une nation en déroute.

Mais les Islandais s’adaptent, alternant torpeur et révolte, abattement et espoir. L’heure est aux règlements de comptes avec les responsables du tsunami financier qui a changé une petite nation luthérienne du Nord en pays le plus endetté de la planète (toutes dettes cumulées). L’heure est aussi au repli sur soi. Un nano-style de vie, en quelque sorte, est né.

Les Islandais ont plusieurs mots pour désigner la crise. Kreppa désigne le marasme, la récession. Hrunid exprime l’effondrement et est utilisé pour comparer l’avant et l’après. Rares sont ceux qui parlent encore de la “révolution des casseroles,” ce mouvement qui, en janvier, avait eu raison du gouvernement, quand les manifestants tapaient nuit et jour devant le parlement sur des ustensiles de cuisine. Et une nouvelle expression est née pour désigner tout ce qui est chic, cher ou luxueux : on dit que “ça fait 2007.”

Tout le monde ne souffre pas également de la crise. Dans les villages qui vivent de la pêche, loin de la capitale, c’est presque l’euphorie. A prix égal en euros, le poisson se vend deux fois plus cher en couronnes islandaises. Les salaires sont bloqués, mais l’activité est soutenue. Quelle revanche pour une population rurale qui, il y a deux ans encore, croyait avoir raté le train de la modernité !

Les très riches ? Ils n’habitaient déjà plus en Islande. Ils résidaient à Londres ou à Copenhague, voire aux deux endroits, d’où ils passaient leurs ordres à distance. Des jeunes en colère ont peinturluré en rouge les 4 × 4 et les villas de ceux qui se sont risqués à revenir, et la plupart sont prudemment restés à l’étranger.

Ils laissent derrière eux le chantier inachevé de résidences secondaires de plusieurs centaines de mètres carrés, souvenir de leur mégalomanie passée. Même folie des grandeurs dans le centre de Reykjavik, avec le palais de la musique et des congrès en construction. La ville et l’État ont décidé de finir le gros oeuvre, après avoir hésité à en faire un monument souvenir de l’effondrement. Ramené à la population, c’est un chantier qui dépasse en coût et en dimensions le palais de Ceausescu à Bucarest, à ceci près que, gagné sur la mer, il ne se substitue pas à un habitat ancien.

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Pendant près d’un an, le documentariste islandais Helgi Felixson a filmé ses compatriotes dans leur quotidien après l’effondrement du système bancaire de l’île.

Une blague islandaise dit que c’est tout le monde occidental qui est islandais.

Dans une société qui ne parle de rien d’autre que de la crise, les Islandais, dans une même conversation, manifestent du découragement, l’espoir que la prospérité revienne, le regret d’avoir été naïfs et la colère contre les responsables. Ils évoquent une culpabilité latente d’avoir laissé faire et leur amertume à l’égard des Scandinaves peu compatissants.

L’Islandais moyen de l’agglomération capitale (deux tiers de la population) invente des solutions. Il rogne sur tout et paye ses dettes. Ce sont les très riches en fuite qui laissent une ardoise.

Les ventes d’automobiles ont baissé de 85 % en un an, celles d’électroménager de 60 %. On fait durer le matériel, on s’est séparé du deuxième ou troisième véhicule, ou du plus somptueux, qui a peut-être déjà retraversé l’océan pour être revendu en Europe. Les jardins ouvriers sont de retour et les habitudes alimentaires ont changé.

Dans un immense mouvement de repli identitaire, à l’automne 2008, est revenu le temps de la confection chez soi de saucisse de foie ou de boudin de mouton à l’ancienne. Mais ce ne fut qu’une vague passagère et le boudin est souvent resté dans les congélateurs.

McDonald’s a fermé en Islande, ce qui a révélé que toute la matière première était importée d’Allemagne. Une nouvelle enseigne a pris la succession, qui utilise à présent de la viande islandaise. Même la consommation d’alcool a baissé sensiblement, déjouant les pronostics. L’explication, qui demande à être vérifiée, est que les Islandais font un vin maison artisanal avec des jus sucrés et de la levure, les plus hardis se risquant à distiller de l’alcool dans des alambics de fortune. La police, presque chaque semaine, saisit du cannabis cultivé sous serre. Ceux qui se livrent à cette activité prohibée sont trahis par leur note d’électricité, car dans la nuit hivernale, un éclairage artificiel puissant est indispensable.

Mais tout n’est pas négatif. La baisse de la couronne fait naître des opportunités. Le tourisme attire une nouvelle clientèle, moins fortunée. Les activités d’entretien et de réparation, navales en particulier, pourront se faire sur place. Les malades groenlandais traités en urgence seront dorénavant acheminés en Islande, et non au Danemark. Les distances sont plus courtes et cela coûtera deux fois moins cher !

On s’attendait à une diminution plus grande encore de la consommation. Mais le gouvernement a ouvert l’accès aux cotisations des retraites complémentaires pour que les plus endettés évitent la faillite personnelle. Ce fut la ruée d’une population déboussolée. On ose à peine penser à la paupérisation de la génération de futurs retraités qui devra se contenter l’heure venue d’une étique pension de base.

Le Monde

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