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La fauche dans les rayons a explosé cette année. L’un des motifs : l’augmentation des vols de nécessité. Coût du phénomène pour les distributeurs : 4,9 milliards d’euros.

Délinquance organisée, chapardage opportuniste ou vol de nécessité, la rapine dans les magasins a fortement augmenté cette année en France. Par rapport à 2008, la « démarque inconnue » a progressé de 3,6 %. Une hausse significative que révèle le neuvième Baromètre mondial du vol publié aujourd’hui par Checkpoint Systems, un cabinet spécialisé dans la sécurité.

Autre fait marquant : selon cette étude, la récession économique a joué un rôle important dans l’explosion des vols alimentaires. « En temps de crise, les besoins et la frustration augmentent. Il y a cinq ans, le lait maternisé ou la viande ne figuraient pas parmi les articles fréquemment volés en France. Je suis très frappé par la percée des produits alimentaires l’an dernier », reconnaît Matthieu Le Taillandier, directeur général de Checkpoint Systems France.

Un constat que partage Denis Marziac, directeur sécurité de l’enseigne vestimentaire C&A. « Le vol organisé pour la revente est un problème, mais c’est le vol occasionnel qui progresse fortement. Aujourd’hui, on ne s’attaque plus seulement aux pièces en cuir, aux robes qui coûtent cher ou aux pulls en cachemire. Même les tee-shirts à 5 € se fauchent couramment », note ce professionnel. Résultat : en février prochain, tous les articles vendus chez C&A seront équipés d’un antivol cousu à l’intérieur du vêtement. Impossible à arracher !

« Cela se répercute forcément sur les prix »

Au total, le vol a ainsi coûté pas moins de 4,9 milliards d’euros aux distributeurs français. Soit 1,42 % de leur chiffre d’affaires. « Pour les commerçants, les pertes sont très importantes. Il ne faut pas se faire d’illusion, cela se répercute forcément sur les prix », souligne Matthieu Le Taillandier, qui évalue à 83 € « l’impôt annuel » que supporte chaque consommateur pour compenser le préjudice financier causé par les voleurs.

Trois motivations différentes

L’« état de nécessité »

C’est un peu retour vers le futur. A la lecture du baromètre 2009 de Checkpoint Systems sur les vols dans le commerce, une catégorie ne cesse de prendre de l’importance : celle des clients qui volent, poussés par la pauvreté et pour lesquels les juges ont admis la notion d’« état de nécessité » à la fin… du XIX e siècle.

Ces vols dits de nécessité arrivent désormais aux troisième et quatrième rangs dans le palmarès des produits les plus volés dans les supermarchés.

Pour Natacha Rateau, vice-procureure du tribunal de Rochefort (Charente-Maritime): « la politique pénale est de ne pas poursuivre ces délits ». Voler par nécessité absolue de survie est une notion juridique qui reste complexe. Mais aujourd’hui, pénaliser la misère n’est pas dans la pratique des tribunaux. Vice-présidente du Syndicat de la magistrature, Natacha Rateau explique la réalité quotidienne.

” L’état de nécessité ne se limite pas aux vols alimentaires. Mais, judiciairement, on considère qu’il y a « vol alimentaire » lorsque le délit est motivé par le seul besoin de se nourrir. Une femme qui avait volé du jambon dans une grande surface en 1997 à Poitiers (Vienne) avait d’abord été relaxée par le tribunal correctionnel mais la cour d’appel a invalidé cette décision car avoir faim et ne pas avoir les moyens pécuniaires ne peut justifier un délit aux yeux de la loi. Sur un plan juridique, cela peut s’entendre mais sur un plan social, c’est autre chose. La politique pénale consiste à ne pas poursuivre ces délits mineurs. S’il n’y a pas d’antécédents, ces dossiers sont bien évidemment classés sans suite. Il y a aussi des négociations entre les directions des supermarchés et les procureurs pour savoir à partir de quel montant les faits sont poursuivis. Pour les vols concernant notamment des produits dits de première nécessité, comme les petits pots pour bébé ou les couches-culottes, on demande de restituer la marchandise et il n’y a pas de poursuites. On ne va quand même pas condamner quelqu’un qui a volé un sandwich ! Il existe une véritable pauvreté subie. Ces faits sont passibles du tribunal correctionnel mais il peut toujours dispenser de peine le prévenu, d’autant plus si le dommage a été réparé. On fait un rappel à la loi, c’est tout. Les services de police ou de gendarmerie sont aussi sensibilisés et renvoient les auteurs vers les associations caritatives. Voler pour manger cela peut se comprendre mais, pour la loi, la faim ne justifie pas tous les moyens. Cela pose un vrai problème de régulation sociale.”

Témoignage

« Les temps sont rudes alors parfois, c’est vrai, je pique des trucs à manger dans les supermarchés », reconnaît Emmanuel, un père trentenaire habitant le sud de la France. Installé dans un petit village de l’Hérault, ce professeur de musique en fin de droits a effectué en juillet une demande pour toucher le RSA (revenu de solidarité active).

Mais pour l’instant la Caisse d’allocations familiales bloque encore les 450 € par mois auxquels il peut prétendre. Alors, alternant depuis des années les périodes fastes et les mois de galère, ce père divorcé va se servir une fois par mois chez Carrefour et Intermarché, pour améliorer le quotidien de son garçon. « Cela a commencé quand un jour je suis passé à la caisse sans payer des articles que j’avais mis dans un sac à part. Je n’avais pas l’intention de voler mais personne ne m’a rien demandé », se souvient Emmanuel. En seconde, au lycée, il s’était pourtant fait attraper un jour à la Fnac pour avoir dérobé une cassette audio et cela l’avait vacciné. « Le vigile m’avait copieusement réprimandé et je n’avais plus recommencé, évoque-t-il. Mais quand on a un gamin, c’est plus fort que soi. On a parfois envie d’acheter de bons produits pour ne pas lui donner des pâtes tous les jours. »

« Je sais que ce n’est pas bien »

Un peu gêné, cet homme explique qu’il fait ses courses avec un sac isotherme suspendu au chariot. « J’y mets du fromage à la coupe, de la viande, du beurre, des yaourts, des glaces, etc. Quand j’arrive vers la sortie, je cherche une caissière qui a l’air débordée. Je pose les articles sur le tapis et je fais mine d’avoir oublié l’existence de mon sac isotherme. Cela marche à tous les coups. Au pire, je peux toujours prétexter une étourderie. » Montant de ces larcins ? « Entre 30 et 70 € à chaque fois que je fais les courses », calcule Emmanuel. Et la mauvaise conscience dans tout ça ? « Je sais que ce n’est pas bien, mais je me dis que les supermarchés n’en mourront pas…, explique maladroitement ce père divorcé. En plus, je ne prends que de la nourriture et jamais dans les commerces de proximité. »

L’opportunisme.

Autre grande catégorie de chapardeurs, les clients qui agissent par opportunisme. Cela touche toutes sortes de produits ou, en tout cas, les plus faciles à dérober : jeux, parfums, rouge à lèvres, etc. « Dans les magasins de bricolage, le rayon des sachets de graines se fait piller », cite comme autre exemple, Matthieu Le Taillandier, directeur général de Checkpoint Systems France. Là, « le profil type du voleur n’existe pas. Le vol opportuniste est commis par le plus grand nombre, explique-t-il. Comme si Monsieur et Madame Tout-le-Monde estimaient avoir le droit de prélever leur dîme sur les magasins ».

« Un phénomène vraiment très important »

C’est un magasin où les caissières connaissent les mamies par leur prénom et où les clients arrivent en lançant un grand « Bonjour » aux employés. Au coeur du vieux Trappes (Yvelines), le Franprix, le seul supermarché du coin, n’échappe pas au phénomène des vols alimentaires. « Ces vols ont pris depuis janvier une ampleur folle. Et cette tendance s’accélère encore aujourd’hui, témoigne Arlindo, le directeur du magasin. Avant, c’étaient des gamins qui dérobaient des friandises. Maintenant, explique-t-il attristé, c’est Monsieur Tout-le Monde, des mères de famille, des grands-mères… Et ces nouveaux chapardages visent la viande sous vide, la charcuterie, le fromage, les conserves… Rien que de la nourriture. »

Détresse

Guy, l’un des employés, a bien compris pourquoi ces vols augmentaient : « Les clients ont de moins en moins d’argent. Il y a encore quelque temps, les ventes ralentissaient à partir du 15 du mois. A présent, les fins de mois difficiles commencent à partir du 10. » Le profil de ces nouveaux voleurs est multiple. « On voit des pères et mères de famille pris à la gorge, des papis et des mamies, qui avec leur maigre retraite n’arrivent pas à boucler leur fin de mois », poursuit Arlindo.

Les astuces pour tromper la vigilance des employés ne sont pas forcément très discrètes. Des dames âgées enfilent un sac dans l’autre pour créer un double fond, certains tentent de dissimuler leur butin avec des sachets plastique au fond de leur chariot… D’autres se servent de leurs poches ou bien de leur sac à main.

Plusieurs fois par semaine, Guy repère ces drôles de manèges. « L’autre jour, raconte-t-il, c’est une mère de famille que j’ai remarquée. Quand on a discuté un peu à l’écart, elle m’a rendu le produit et m’a dit qu’elle n’avait pas de quoi payer. » Les deux hommes s’accordent à dire qu’il est très difficile de se retrouver face à la détresse de ces voleurs : « On attrape la main dans le sac des gens qu’on connaît, explique Arlindo.

Dans les hypermarchés, les services de sécurité portent systématiquement plainte. Nos dirigeants voudraient qu’on fasse de même, poursuit le directeur. Mais c’est comme un village ici. Il est impossible d’être aussi intransigeant. Pourtant, cette fauche nous cause énormément de tort. » Pour tenter d’endiguer ce phénomène, le magasin devrait être prochainement équipé d’un système de vidéosurveillance. En attendant, son accès a été interdit à plusieurs personnes qui ont tenté de dérober de la nourriture. Il s’agissait pourtant de clients habituels. La situation du Franprix de Trappes est loin d’être un cas isolé. « C’est un phénomène vraiment très important qui touche tous mes magasins, explique Cyril Danan, responsable d’une trentaine de magasins Franprix, disséminés dans toute la région parisienne et à Marseille. C’est Monsieur Tout-le-Monde qui se met à faucher. Ou, pour être plus exact : Madame Tout-le-Monde ! »

Le vol organisé

Le plus souvent commis en bandes et avec des méthodes élaborées. Des produits bien spécifiques destinés à la revente sont alors visés : le tabac, les bouteilles de whisky J&B ou les lames de rasoir Gillette par exemple, s’écoulent très facilement.

Enfin, les clients ne sont pas les seuls fautifs. Bien que le sujet soit politiquement incorrect, la fauche pratiquée par le personnel des magasins existe. Elle représente même pas moins de 33 % de la démarque inconnue. Fausses manipulations aux caisses, disparitions dans les réserves, utilisation frauduleuse des cartes de fidélité… les salariés savent aussi faire preuve d’imagination pour arnaquer leur employeur.

La France est à l’échelle européenne médaille de bronze de la fauche derrière le Royaume-Uni et l’Allemagne. Pourquoi ? Matthieu Le Taillandier explique ce classement par la prédominance de l’hypermarché (plus de 1 500 magasins) dans l’Hexagone. Ce modèle typiquement français de distribution s’avère être le paradis… des voleurs. Le Parisien

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