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D’un côté les bonus (primes de fin d’année), dont on prévoit déjà que, dans nombre d’entreprises du secteur financier, ils dépasseront leur plus haut historique. De l’autre, l’emploi, qui continue de se détériorer. Tels sont deux sujets du jour aux Etats-Unis.
En des temps antédiluviens – pensez, on était encore au premier semestre 2008 -, la corporation des économistes américains se divisait en deux.
Les premiers, analystes des banques et sociétés d’investissement, s’affichaient partisans déterminés de la définition dite classique de la récession : elle n’existe qu’après deux trimestres successifs de rétraction de la production de richesses (supposée se réduire au PIB). Dès lors qu’elle n’était pas observée, ils en concluaient que les Etats-Unis connaissaient certes un “ralentissement”, mais pas une récession.
Face à eux, nombre d’économistes universitaires – progressivement rejoints par les économistes d’entreprises – jugeaient que le pays était bien entré en récession, puisque l’emploi se contractait durant plus de six mois.
Ce débat a été tranché, du moins formellement, en faveur du second camp : depuis la fin 2008, l’économiquement correct veut que la récession ait bien commencé en décembre 2007.
Entre signes de reprise financière et inquiétudes sur l’emploi, le débat, en filigrane, reprend.
Samedi 24 octobre, le New York Times proposait en “une” de ses pages économiques une analyse et une enquête dont la proximité illustrait bien ce nouveau débat.
Le premier article s’intitulait “Mémoires courtes chez Goldman”, le second, “65 ans et plus, à la recherche d’un travail”.
Signée Joe Nocera, un des deux enquêteurs vedettes du Times (l’autre est Gretchen Morgenson), l’analyse entendait montrer que Goldman Sachs (GS), en bénéficiant lui aussi de fonds spéciaux alloués par l’Etat américain pour stabiliser les grands acteurs financiers des marchés, a pu – précisément parce qu’il s’était mieux sorti que ses homologues-adversaires de la crise financière – bénéficier d’un avantage concurrentiel considérable durant la période récente où ces derniers souquaient ferme pour ne pas couler.
Et de conclure que si, pour récompenser comme il se doit ses troupes, GS a pu provisionner 16 milliards de dollars sur les seuls trois premiers trimestres de l’année (une somme jamais atteinte par la banque d’affaires), il le doit aussi aux avantages qu’il a retirés de l’aide publique. Le chroniqueur le chiffre à “au moins 2 à 3 milliards” de dollars sur les 16. Et de conclure, au nom des contribuables américains : “Et nos bonus à nous, où sont-ils ?”
Au fond, peu importe la morale de l’histoire. L’essentiel est que, d’ores et déjà, le redémarrage économique est fondé sur la reprise financière et génère les mêmes propensions hier encore dénoncées comme désastreuses. A combien se monte la part des activités financières dans la croissance du PIB américain actuel ?
Car le second article nous apprend une nouvelle moins réjouissante. En 2001, 4,1 millions d’Américains âgés de 65 ans et plus continuaient de travailler. Ils sont désormais 6,6 millions. Soit 61 % d’augmentation en huit ans et le plus fort taux de “retraités au travail” depuis la fin de la deuxième guerre mondiale.
Pour éviter toute méprise, on ajoutera que cette augmentation n’est pas vraiment due à un désir effréné de travailler plus longtemps, mais à la nécessité pour ces retraités de gagner de nouveau leur vie pour ne pas sombrer. L’immense majorité retourne travailler par incapacité de rembourser un emprunt immobilier contracté sur 30 ans, parfois 40 ans. Parmi eux, un demi-million, inscrits au chômage, ne trouvent pas d’emploi. Un autre demi-million cherche un emploi sans bénéficier d’aucune indemnité. Le taux des “retraités demandeurs d’emploi” – expression pour le moins singulière – est passé de 1,9 % au début de la décennie à 3,3 % il y a deux ans et 6,7 % aujourd’hui.
Juxtaposés, ces deux articles posent le débat sur la définition de la croissance en des termes identiques à ceux du début de la présente crise.

Le cas des retraités obligés de retravailler au moment même où d’autres redistribuent de grasses primes est symptomatique d’une situation où, malgré une série de “bons” chiffres économiques et financiers, l’emploi continue de se dégrader – et plus encore les conditions d’emploi.

Comme si, au passage, la crise avait été “bénéfique” en termes de productivité et de resserrement des coûts salariaux, mais avait aussi renforcé la précarisation de l’emploi.

Or, n’était-ce pas cette précarisation des classes moyennes “basses”, lourdement aggravée dans les années 2002-2007, qui est à l’origine de la crise des subprimes ?
Le Monde

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