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Dans son livre A Farewell to Alms [« Adieu l’aumône »], l’économiste Gregory Clark examine les conditions nécessaires pour qu’un pays accède au développement économique. Après avoir étudié la transformation des mentalités en Angleterre entre le 13e et le 19e siècle, Clark énumère quatre critères qui, selon lui, doivent être réunis avant qu’une économie ne commence son ascension : travailler dur, penser au lendemain, maitriser les savoirs de base (lire/écrire/compter), et régler les différends autrement que par la violence.
Selon G. Clark, les pays du Tiers-Monde ne se développent pas car leurs populations ne sont pas prêtes.
Le développement économique est un phénomène récent à l’échelle de l’humanité. De la Préhistoire au 19e siècle, c’est l’ensemble de la planète qui reste dans un état de sous-développement. Longévité, taille moyenne de la population (indicateur de santé), revenu réel par habitant… : les chiffres sont à peu près les mêmes en 10 000 av. J.-C. et en l’an 1800 de notre ère. Coté nutrition par exemple, l’Anglais moyen consommait 2 322 calories par jour en 1790 (les plus pauvres devaient même se contenter de 1 508 calories/j). Par comparaison, les tribus de chasseurs-cueilleurs consommaient 2 300 calories par jour, voire plus ; et leur régime était bien plus varié. « L’homme primitif était bien nourri par rapport à l’une des sociétés les plus riches du monde en 1800 », écrit l’auteur.
La raison de cette stagnation est bien appréhendée : jusqu’en 1800, tout progrès technologique s’est traduit non par une augmentation du niveau de vie mais par un accroissement du nombre d’habitants.
Tout change à partir du 19e siècle. Le niveau de vie moyen commence à croître à un rythme prodigieux, jusqu’à aujourd’hui. Pourquoi ? Pour Gregory Clark, la réponse se trouve dans les archives médiévales qu’il étudie depuis vingt ans.
Selon lui, l’Angleterre du 13e siècle n’était pas prête pour le développement économique en raison de quatre handicaps, partagés par tous les peuples :

  1. une vie tournée vers le présent et l’incapacité à  consentir des sacrifices immédiats pour un mieux-être ultérieur
  2. une maîtrise très approximative du calcul, de la lecture et de l’écriture. Et une volonté insuffisante de développer ces compétences
  3. la résolution des conflits par la violence physique plutôt que par la négociation
  4. une quantité de travail insuffisante.

Il est, selon l’auteur, impossible qu’une population présentant ces caractéristiques puisse engendrer les progrès technologiques rapides et continus nécessaires au développement économique. En 1800, en revanche, les Anglais travaillent 60 heures par semaine, pensent à l’avenir, savent suffisamment bien lire, écrire et compter, et commettent peu de crimes. Une population ayant ces qualités est alors en mesure d’inventer la Révolution Industrielle, ou au moins d’en copier les meilleures idées avec succès.
Que s’est-il passé entre 1200 à 1800 pour que s’opère ce changement radical en Angleterre ? Gregory Clark apporte une réponse fort simple. En 1200, seule une fraction de la population posséde les quatre qualités évoquées précédemment : ceux qui se sont enrichis. Exemples : le poissonnier qui a plus de clients que son concurrent, le cordonnier qui vend ses chaussures plus cher mais parce qu’elles sont de meilleure qualité, le paysan qui produit plus de blé. Cette fraction de la population a plus d’enfants ayant survécu jusqu’à l’âge adulte que les autres (avoir des enfants est coûteux : nourriture, soins, éducation… Seuls les plus riches peuvent subvenir aux besoins d’une famille nombreuse).
Léguant à leurs enfants leurs valeurs et leurs traits de caractère, les familles porteuses de valeurs positives se sont multipliées, répandant ces valeurs au travers de la société. A l’inverse, celles qui en étaient dépourvues ont progressivement disparu. « La population de l’Angleterre moderne descend principalement des classes socio-économiques supérieures du Moyen Âge, » conclut Gregory Clark. « Être économe, prudent, travailleur et négocier sont devenus les valeurs de communautés qui auparavant étaient dépensières, impulsives, violentes et paresseuses. »
Il a donc fallu 600 ans  pour que les traits de caractère nécessaires au développement économique du pays se répandent peu à peu, et en 1800, l’Angleterre était prête pour la Révolution Industrielle. D’autres zones géographiques étaient dans cette configuration : la France et le reste de l’Europe, les colonies européennes (Etats-Unis, Canada, Australie, etc.), l’Asie du Nord-Est (Japon, Corée du Sud, Taiwan, etc.).
Les autres pays ne l’étaient pas. Ces pays-là sont aujourd’hui appelés «pays sous-développés» ou «Tiers-Monde». C’est de ces pays que proviennent la majorité des immigrés qui s’installent en France.
Pouvons-nous les aider à se développer ? Gregory Clark répond par la négative. Nous pouvons leur montrer nos innovations, mais ils ne les utilisent pas aussi bien que nous. Et Clark soutient qu’il n’y a rien à faire pour accélérer leur développement. Contrairement à ce que croient la Banque Mondiale ou le Fonds Monétaire International, il ne s’agit pas d’un problème de capitaux, d’encadrement, d’institutions, d’éducation, d’infrastructure ou de techniques. Si tel était le cas, ces déficiences pourraient être comblées avec suffisamment de temps et de générosité. Le vrai problème, selon Clark est d’une nature beaucoup plus profonde. C’est ce qu’il appelle pudiquement : « la qualité des travailleurs ».
Cette conclusion est d’autant plus significative que Gregory Clark n’est pas un marginal. C’est au contraire un chercheur réputé. A Farewell to Alms est un best-seller qui a reçu un accueil très favorable dans les milieux intellectuels, du New York Times au prix Nobel d’économie 2001 George Akerlof. Ses données sont inattaquables. La publication de ce livre en 2007 a suffi pour propulser son auteur au rang de superstar de l’économie en l’espace de quelques mois.
Gregory Clark conclut par ce jugement sévère : « L’Histoire démontre, comme nous l’avons vu encore et encore dans ce livre, que l’Occident n’a aucun modèle de développement économique à offrir aux pays du monde qui sont encore pauvres. Il n’y a pas de remède économique simple qui garantira la croissance, et même des interventions économiques complexes n’offrent pas de chance claire de guérison pour les sociétés atteintes de pauvreté. Même les dons directs destinés à les assister ont prouvé qu’ils étaient inefficaces pour stimuler la croissance. »

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