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Article du 24 nov 2009 – Lien site Libération

C’est un billet d’humeur d’un jeune Français qui s’appelle Anyss Arbib, étudiant en quatrième année à Sciences-Po Paris et habitant Bondy, en Seine-Saint-Denis, dans l’une de ces banlieues dites «sensibles». Sur sa page Facebook, il a intitulé son texte «Au cœur d’une guerre franco-française». Ce qui en dit long sur le ressenti de cet étudiant témoin de «violences policières aveugles», à l’encontre de Français issus de l’immigration le soir de la qualification de l’Algérie aux dépens de l’Egypte pour la Coupe du monde de football en Afrique du Sud. Lui-même et son ami se sont fait copieusement asperger de gaz lacrymogène par un CRS, geste accompagné d’insultes xénophobes : «Dégage, sale Arabe !» Sur sa page, il écrit : «Je ne pouvais même pas lui répondre que j’étais au moins autant français que lui, la menace physique et l’impunité étant bien trop grandes. Mon honneur, mes valeurs et mes certitudes sous le coude, je rentrais chez moi blessé… par la nation. Blessé dans une guerre franco-française qui, malheureusement, semble être banalisée». Voici le témoignage qu’il a livré à Libération.

«Terreur». «Mercredi soir, quand l’Algérie se qualifie, en banlieue, il y a des explosions de joie. Moi, je suis français issu de l’immigration marocaine. J’ai un ami d’origine algérienne qui me dit : « Viens, pour une fois, on va aller fêter ça à Paris. » On monte dans sa voiture immatriculée 93 (le département de Seine-Saint-Denis). Des milliers d’autres personnes ont eu la même idée. Sur le périphérique, le trafic est bloqué. Des gens descendent de leur véhicule et agitent des drapeaux algériens. On finit par rejoindre l’Arc de triomphe et les Champs-Elysées. Quand on arrive, c’est calme. Mais, dix minutes plus tard, ça commence à dégénérer. Des jeunes lancent des bouteilles et des pétards sur les forces de l’ordre. Les habituels casseurs profitent des circonstances pour briser des vitrines et se livrer à des larcins. J’en vois certains courir avec des costumes dans les mains. Les forces de l’ordre répliquent. Ce qui est normal. Là on se dit : « Stop ! On rentre. » On retourne en voiture vers la Porte Maillot. Avant de prendre le périphérique pour rentrer à Bondy, on stationne sur le bas-côté pour attendre le frère de mon ami, qui se trouve dans une autre voiture avec un copain. On s’est appelé sur les portables. Des CRS sont présents, mais tout se passe bien jusque-là. D’autres automobilistes arrivent, et stationnent. Ils sont comme nous : ils sont partis en groupe et veulent rentrer en groupe. Comme nous, ils ont quitté les Champs-Elysées parce qu’ils ne veulent pas être mêlés aux violences. Certains descendent de voiture pour fumer une cigarette. Il est autour de 0 h 30. Là arrivent d’autres cars de CRS. Des hommes descendent et commencent à donner des coups de matraque à toute personne en dehors de sa voiture. Ils cognent sans raison et sans aucun ménagement sur des gens qui n’ont rien à se reprocher. Ils instaurent un climat de terreur. La logique est manifestement de faire peur à tout le monde. Plus ils arrivent nombreux et plus ils sont violents. Un père de famille debout devant son véhicule se prend un grand coup de matraque sur le flanc. Il repousse le CRS. Et là, à plusieurs, ils se mettent à le matraquer. Ils agissent avec beaucoup de vulgarité. Ils disent aux gens « dégage », « casse-toi « , au lieu de dire « partez ». A un moment, on assiste à une scène hallucinante : une BMW arrive des Champs coursée par des policiers en civil. Je suppose que le conducteur avait commis quelque chose. Porte Maillot, la voiture est obligée de ralentir. Un policier parvient à ouvrir la porte avant. Le conducteur perd le contrôle et emboutit deux autres automobiles. Ils sortent le jeune de son véhicule et commencent à le rouer de coup sans retenue. Ils ont cessé lorsque des témoins se sont mis à crier : « Arrêtez, vous allez le tuer ! » Je considère qu’il est du devoir de la police d’arrêter des gens qui ont commis un délit. Mais pas avec un tel déchaînement de violence.

«Révoltant». «Peu après, la voiture dans laquelle se trouve le frère de mon ami arrive. On décide de partir. A ce moment-là, on voit un CRS fracasser le nez d’un jeune d’un coup de matraque net et précis. On regarde, atterrés. Un CRS s’approche de notre voiture, tape du poing sur la tôle et lance: « Qu’est-ce que tu regardes ? Dégage, dégage ! » Je commence à trouver cela révoltant. J’ai l’impression que nous ne sommes plus dans un Etat de droit. On est livrés à une police qui agit comme elle le veut, qui déploie une violence incroyable sans légitimité. Porte Maillot, il n’y a pas de casseurs. Au policier qui me demandait ce que je regardais, je lui réponds : « Je regarde devant moi, je connais mes droits, je suis étudiant à Sciences-Po. » Réponse : « J’emmerde Sciences-Po ! » Je lui fais observer que je suis poli avec lui et qu’il n’a pas à utiliser un tel langage. Il coupe court : « Ferme ta gueule. » Son collègue me pulvérise sur le visage un gel lacrymogène. C’est la première fois que cela m’arrive. C’est une agression gratuite. Un geste injustifiable. Je n’arrive plus à respirer. Je sors de la voiture, je m’allonge par terre. J’ai la sensation d’agoniser en étouffant. Mon ami est dans le même état. Quand je reprends mes esprits, j’essaie d’avoir des explications. On me dit : « Dégage, sale Arabe ! » Après coup, mes copains m’ont dit : « Sciences-Po ou pas, tu restes un Arabe ! » Ce soir-là, j’ai eu l’impression que la police agissait en se disant : « Ils nous ont fait chier sur les Champs-Elysées, on va les castagner avant qu’ils ne rentrent, pour marquer les esprits. » Quand il y a des manifestations de ce type, on se retrouve identifié comme un ennemi dans sa propre République. Or les seuls points communs entre un casseur et moi, c’est qu’on est tous les deux français et qu’on a tous les deux le teint bronzé. A part ça, je n’ai pas plus de point commun avec lui qu’avec quelqu’un qui promène son chien avenue Foch. Je ne suis pas dans la victimisation. Je me suis toujours battu pour atteindre mes objectifs en utilisant l’offre qui est faite à tout citoyen. Je veux juste témoigner des dérives auxquelles j’ai assisté. Des gens se sont battus pour avoir des droits dans ce pays, je ne veux pas que, plus tard, mes enfants subissent encore ce genre d’injustices.»

Par TONINO SERAFINI

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