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Bandes : la spirale de l’ultra-violence (Le Monde)

Article publié le 25 Février 2006
Par Piotr Smolar
Source : LE MONDE

” Ils ont grandi ensemble, dans les HLM de Bagneux (Hauts-de-Seine), plus attachés à leur cité qu’à leurs origines, diverses. Une puissante solidarité les lie, et l’appât du gain les motive. Pour les policiers de la brigade criminelle, les individus écroués pour avoir participé à la séquestration et à la mort d’Ilan Halimi formaient une bande de cité classique, jusqu’au déchaînement de violence contre la victime.

“Ces jeunes se sont connus à l’école ou au collège, ils sont fanas d’Internet et de téléphonie, discutent à longueur de journée, vivent en autarcie, montent des business ensemble, passent du vol à l’arraché le matin au vol à main armée le soir, diagnostique François Jaspart, directeur de la police judiciaire parisienne. Dans leur organisation, on trouve un chef, des cadres et des ouvriers. Ils veulent profiter de la société de consommation, qui n’est pas à leur portée, mais qu’ils voient fonctionner.”

Plusieurs rapports des renseignements généraux (RG), dont Le Monde a eu connaissance, se sont penchés sur la composition des bandes, leur usage de la violence, ainsi que sur un thème abordé traditionnellement à reculons par les policiers : l’origine ethnique de leurs membres. Ces groupes se structurent autour d’un noyau de cinq à quinze personnes, issues du même quartier.

Contrairement aux Etats-Unis, ils ne se regroupent pas en fonction de leur appartenance à un groupe ethnique spécifique, mais à un territoire – leur cité -, élément clé de leur identité. Il peut s’agir d’un simple regroupement de copains qui traînent ensemble au pied de leurs immeubles ou, au contraire, d’une organisation beaucoup plus structurée se livrant à des activités crapuleuses.

A Bagneux, le noyau dur, rompu aux actes délinquants, était animé par Youssouf Fofana. Puis se sont agrégés des jeunes et des adultes du quartier, plus ou moins impliqués, pas tous décidés à basculer dans la violence pure. La séquestration prolongée de la victime, sans issue financière positive, en a d’ailleurs conduit plusieurs à s’interroger sur l’intérêt de l’opération.

Les petits trafics constituent la source de revenus essentielle des bandes, mais ils peuvent aussi servir de sas vers des actes plus graves. L’effet d’entraînement et de mimétisme joue à plein. “Les liens sont de plus en plus étroits entre la violence urbaine et la délinquance acquisitive pouvant aller jusqu’au grand banditisme”, notaient les RG dans un rapport, en janvier 2005. Ce passage très rapide de la petite délinquance de quartier à la grande criminalité entraîne parfois un manque de professionnalisme et de technique, comme l’a illustrée, selon la brigade criminelle, l’incapacité de Youssouf Fofana et de ses proches à obtenir le versement d’une rançon.

En 2005, les RG ont recensé 435 affrontements entre bandes (contre 225 en 2004 et 281 en 2003) ; ils ont fait 8 morts, contre 14 en 2004. L’Ile-de-France concentre la moitié des faits recensés. “Face à l’effritement des anciennes formes de solidarité (famille, communautés d’origine, syndicats, Eglises, associations…), le “caïdat” local, suivi de près par le radicalisme religieux, a investi les quartiers sensibles, apportant un semblant de repères identitaires à des jeunes désoeuvrés”, soulignait la direction centrale des renseignements généraux (DCRG) en janvier 2005.

Une telle violence peut aussi se retourner contre les habitants de la cité. Le gang de Bagneux a exercé de telles pressions. Une jeune fille de 19 ans, prénommée Leila, a ainsi été mise en examen pour non-dénonciation de l’enlèvement d’Ilan Halimi. Son petit ami, Jérôme, s’était retiré de la bande de Youssouf Fofana le 30 janvier en raison de la tournure des événements.

Toutefois, le juge des libertés et de la détention a choisi de ne pas écrouer cette jeune fille en invoquant notamment le “climat de peur et de contrainte” qu’elle avait subi. “Cette bande est bien organisée, avec un certain degré de sophistication et une capacité à terroriser beaucoup de gens qu’on ne soupçonne pas”, explique Me Jean Balan, avocat d’une autre jeune femme ayant servi d’appât.

Les renseignements généraux ont établi un profil type des principaux délinquants dans ces groupes, à partir de l’étude de 436 meneurs, recensés dans 24 quartiers sensibles. Parmi eux, 87 % ont la nationalité française ; 67 % sont d’origine maghrébine et 17 % d’origine africaine. Les Français d’origine non immigrée représentent 9 % des meneurs, selon les RG.

Si les auteurs des actes de délinquance sont de plus en plus jeunes, la moyenne d’âge des meneurs, en revanche, est assez élevée. Plus de la moitié ont entre 19 et 25 ans. Comme Youssouf Fofana, âgé de 25 ans. Près de 80 % d’entre eux ont été mis en cause pour divers délits de droit commun, en particulier l’usage et le trafic de stupéfiants.

Si les bandes sont rarement homogènes d’un point de vue ethnique, les jeunes d’origine africaine ancrés dans la délinquance présenteraient tout de même des particularités, à en croire une note du 3 octobre des renseignements généraux de la préfecture de police (RGPP). L’une d’elles serait “l’extrême violence de leurs actes”.

Selon le rapport, “ces jeunes réagissent en effet, de façon démesurée, surtout lorsqu’ils sont en groupe, le dérapage pouvant intervenir à tout moment. Le fait de tuer est complètement banalisé par la télévision, qui filme la mort en direct (…). Donner la mort s’inscrit dans une sorte de parcours initiatique qui permet d’être reconnu et de s’élever dans la bande, d’autant que l’excuse de la provocation, sous une forme quelconque, vaut toujours absolution.”

Dans le même rapport, quatre mois avant les faits, les policiers parlaient déjà d'”acharnement”, de “sauvagerie” et de “barbarie”, citant l’utilisation épisodique d’armes destinées à infliger des blessures graves, comme des gourdins à clous, sans parler des armes à feu. Exemple relevé par les RG, celui de jeunes d’Etampes (Essonne) qui snifferaient des produits comme de la colle ou de l’acétone avant d’affronter des groupes rivaux, afin de se rendre insensibles à la douleur.

“C’est vrai qu’on constate un passage à l’acte violent plus précoce et plus rapide, mais il ne faut pas présenter ces jeunes comme des sauvages, note le chercheur Thomas Sauvadet, spécialiste du phénomène des bandes. Ils vivent dans un environnement violent, sont violents entre eux et subissent des discriminations ressenties comme des violences. Tout cela s’articule pour créer un jeune en état de guerre psychologique.”

Les renseignements généraux n’ont pas conduit d’étude spécifique sur l’antisémitisme en banlieue. En revanche, les violences constatées à l’occasion de la manifestation lycéenne du 8 mars 2005 contre la loi Fillon ont incité les policiers à se pencher sur le racisme anti-“Blanc”, “une réalité quotidienne”, selon le titre d’une étude du 4 juillet 2005.

Les RG y citent des exemples de menaces et d’agressions, notamment contre les personnes qui travaillent pour les bailleurs sociaux ou les services publics. ”

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