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LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 11.03.2014 à 09h36 • Mis à jour le 11.03.2014 à 14h38

La drépanocytose, maladie génétique la plus fréquente en France, sera-t-elle un jour dépistée chez tous les nouveau-nés, comme la mucoviscidose, l’hypothyroïdie congénitale, la phénylcétonurie, et l’hyperplasie congénitale des surrénales ?

Forme potentiellement grave d’anémie due à une anomalie de l’hémoglobine, cette pathologie est méconnue dans notre pays, du moins en métropole. Elle concerne pourtant au moins 12 000 personnes, essentiellement originaires d’Afrique subsaharienne, de certaines régions de la péninsule Arabique, de l’Inde et du pourtour méditerranéen.

Comme la mucoviscidose, la drépanocytose ou hémoglobinose S est une maladie génétique transmise sur un mode dit « autosomique récessif » : elle ne s’exprime que si un individu a hérité de deux gènes mutés (SS), provenant de chacun de ses parents qui sont, eux, porteurs sains (hétérozygotes ou AS).

Du fait des particularités ethniques, un programme de dépistage néonatal peu banal a été instauré sur le territoire, en 2000. La recherche de la drépanocytose, effectuée en maternité, est systématique dans les départements d’outre-mer, et ciblée en métropole chez les bébés dont les parents sont originaires de zones à risque.

ARGUMENTS SCIENTIFIQUES ET ÉTHIQUES

Mais les associations et bien des spécialistes plaident pour un dépistage universel. Leurs arguments sont à la fois scientifiques (ils soulignent, entre autres, qu’une prise en charge plus tardive des enfants non repérés augmente les risques de complications), mais aussi éthiques. Le ciblage peut, en effet, être vécu comme une forme de discrimination, stigmatisant encore un peu plus cette « maladie de Noirs ».

Lire aussi: Un repérage prénuptial différencié des maladies « ethniques »

Saisie par la Direction générale de la santé (DGS) sur cette question délicate, la Haute Autorité de santé (HAS) vient de rendre son verdict le 11 mars. Un dépistage néonatal systématique en métropole n’est pas justifié, estime la HAS, dans un rapport de 130 pages. Pour nourrir sa réflexion, l’institution s’est appuyée sur la littérature nationale et internationale, et sur une dizaine d’auditions d’experts (médecins, spécialistes de sciences sociales, associations de malades…).

Dans le monde, plusieurs pays ont opté pour un dépistage néonatal (DNN) de la drépanocytose, avec des modalités variées. Celui-ci est systématique aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, rappelle le rapport de la HAS, qui précise qu’« un consensus s’est dégagé sur l’idée qu’un dépistage ciblé, fondé sur l’ethnicité maternelle, soulevait des questions pratiques et éthiques que les décideurs politiques avaient voulu éviter. Le souhait de promouvoir un dépistage uniforme a contribué au choix du dépistage néonatal universel de la drépanocytose dans ces deux pays. »

Il relève aussi que les contraintes légales de consignation de l’information sur l’origine familiale dans les dossiers médicaux et les bases administratives y sont bien différentes de celles en vigueur en France, où la loi interdit la collecte et le traitement de « données à caractère personnel qui font apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques ».

La HAS s’est également penchée sur les résultats de la stratégie nationale, ciblée. En 2012, celle-ci a permis d’identifier 382 cas de drépanocytose chez les 309 858 nouveau-nés testés – soit un tiers de ceux qui ont vu le jour en métropole. Le nombre de nouveau-nés dépistés est stable depuis 2006, alors que le pourcentage de tests en métropole a augmenté dans cette période (de 27 % à 34 %).

Sur le plan médical, le dépistage néonatal permet de mettre en place une prise en charge spécialisée du nourrisson et des mesures préventives, avant que les symptômes n’apparaissent, à partir de trois mois de vie. Ceux-ci sont principalement de trois types : anémie, sensibilité aux infections bactériennes et crises douloureuses, liées à l’obstruction de petits vaisseaux par les globules rouges anormaux. Le repérage précoce permet aussi d’éduquer les parents.

« La question qui nous était posée était celle de l’intérêt, en termes de santé publique, d’un élargissement du dépistage néonatal ; les données disponibles ne permettent pas de le démontrer, résume le professeur Jean-Luc Harousseau, président de la HAS. Le surcoût lié aux tests supplémentaires à réaliser peut être évalué – 180 000 euros annuels pour la région Ile-de-France ; 1,5 million d’euros pour la France entière – mais pas son efficacité. Nous ne recommandons donc pas une extension du dépistage actuel, d’autant qu’il n’y a pas de signal que celui-ci soit défaillant. »

DÉPASSER L’IDÉE D’UNE MALADIE COMMUNAUTAIRE

Une conclusion qui risque de laisser sur leur faim les associations et spécialistes auditionnés par la HAS favorables au dépistage universel. « Dépasser le dépistage ciblé, c’est dépasser l’idée d’une maladie communautaire, permettre une égalité de traitement pour une meilleure qualité de soin pour tous, sans distinction des origines, et une meilleure conception et compréhension de la maladie pour le personnel soignant », déclarait ainsi Karim Khadem, président de SOS Globi Rhône-Alpes, lors de son audition.

Quid du repérage des hétérozygotes (qui n’ont qu’un seul gène muté) par le dépistage néonatal ? Faut-il informer les parents, et plus tard le principal intéressé, qu’il est porteur d’un défaut génétique sans conséquences sur sa santé, mais qu’il peut transmettre dans sa descendance ? « C’est un sujet complexe, pour lequel ce n’est pas à la HAS de trancher ; mais nous amenons un outil de travail pour aider les professionnels dans cette réflexion », estime Jean-Luc Harousseau.

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