Le veto russe au Conseil de sécurité de l’ONU permet aux Européens de justifier leur non-intervention en Syrie. En face, la diplomatie russe se félicite, après le fiasco libyen, de sa ténacité sur le front syrien. Affaibli sur le plan intérieur, le président Vladimir Poutine flatte l’orgueil national pour resserrer les rangs autour de lui.
Les élites patriotiques de Russie ne veulent pas trahir leur allié syrien, qui bénéficie de l’assistance militaire de Moscou depuis les années 1950. Ils veulent maintenir la Russie dans le jeu ouvert par les révolutions arabes.
Car la Russie est le premier pays musulman d’Europe.
Avec plus de 20 millions de musulmans, elle veut à tout prix limiter la propagation de l’islamisme sur son territoire. C’est pourquoi Moscou accuse les Occidentaux de laisser les puissances sunnites du Golfe “armer les salafistes” de l’opposition syrienne.
La situation est d’autant plus préoccupante pour la Russie que la région Volga-Oural, peuplée de 5 millions de sunnites, vient d’être victime d’attaques terroristes. Or, si ce verrou venait à lâcher, c’est la Sibérie pétrolifère qui serait touchée.
Le régime soviétique n’a pas réussi à extirper la foi religieuse, et le renouveau des années 1990 a placé l’islam “traditionnel” des vieux mollahs autoproclamés en concurrence avec un islam urbain, plus identitaire et parfois radical. (…)
L’apparition sur plusieurs sites islamistes d’appels à la création d’un califat d’Idel-Oural (du nom du grand Etat voulu par les nationalistes tatars) montre l’actualité du projet de déstabilisation de la région Volga-Oural. L’influence du contexte géopolitique est évidente avec la montée en force des pays du Golfe et le positionnement opposé de la Russie aux côtés de Bachar Al-Assad et de l’Iran, l’ennemi chiite.
Après avoir sponsorisé la construction de mosquées (dont celle de Kul-Sharif), les Saoudiens investissent dans des organisations plus clandestines, comme ils le font déjà dans le Caucase du Nord en soutenant les boïviki (“combattants”) wahhabites. (…)
Or leur isolement dans un milieu russe aggrave le risque de radicalisation islamique. Les risques de déstabilisation restent encore limités mais, s’il venait à tomber, le domino ouralo-volgien risquerait d’emporter avec lui celui de Sibérie. L’Arabie saoudite verrait peut-être d’un bon oeil l’affaiblissement du deuxième exportateur mondial de pétrole.
Mais les conséquences d’une guerre de religions dans les champs de pétrole sibériens seraient catastrophiques, dans une Russie encore multiethnique où le projet des communistes d’établir une religion séculière a freiné le processus de sécularisation. (…)