Un marin devenu parachutiste
Émile Bouétard naît le 4 septembre 1915 à Pleudihen-sur-Rance dans les Côtes-d’Armor. À l’âge de 13 ans, ce fils d’agriculteur s’engage dans la marine marchande puis, lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, il est mobilisé dans la Marine nationale. En juin 1940, après l’armistice, il retourne un temps dans son village natal désormais en zone occupée. Mais, il n’accepte pas la défaite. Ses convictions le poussent finalement à répondre à l’appel du général de Gaulle. Après un long périple commencé en janvier 1942 et qui le mène au Maroc puis aux États-Unis, il arrive en Angleterre en janvier 1943 et s’engage dans les Forces navales françaises libres. Il décide finalement de devenir parachutiste, « le meilleur moyen, selon lui, d’arriver les premiers en France ». Pour ce faire, le 25 février 1943, il incorpore les Forces aériennes françaises libres et rejoint le 4e Bataillon d’infanterie de l’air (BIA) stationné à Camberley, aux abords de Londres.
En janvier 1944, aux côtés d’unités d’élite britanniques et belges, le 4e BIA intègre la Special Air Service Brigade chargée de préparer ces soldats à sauter en France pour encadrer le soulèvement des maquisards destiné à soutenir le débarquement en Normandie. Émile Bouétard découvre alors le rude entraînement des commandos parachutistes dispensé en Écosse, dont il finit par arriver à bout. Âgé de 28 ans, il se voit affubler du surnom de « vieux » par ses jeunes camarades.
Les premiers sur le sol français
Dans la nuit du 5 au 6 juin, deux bombardiers Short Stirling décollent de Fairford (Gloucestershire), direction la Bretagne, avec à leur bord 36 parachutistes répartis en 4 groupes (« sticks »). Deux sticks doivent sauter dans les Côtes-d’Armor (opération Samwest) tandis que les groupes Pierre 1 et Pierre 2 des lieutenants Marienne et Delpante doivent atteindre Plumelec dans le Morbihan (opération Dingson). Ces derniers, auxquels appartient le caporal Bouétard, devront ensuite effectuer une marche de quelques kilomètres en territoire ennemi pour rejoindre le maquis de Saint-Marcel.
Aux premières heures du Jour J, l’avion d’Émile Bouétard arrive au-dessus de la zone de saut. Le lieutenant Deplante se souvient : « Près de la trappe et par le beau clair de Lune, je vois défiler toute proche sous moi notre chère terre de France. » Une lumière verte s’allume : les 18 hommes s’élancent. Après l’atterrissage, le caporal Bouétard et un trinôme radio ont pour mission de se camoufler et d’attendre le reste du commando parti à la recherche du matériel parachuté par le Stirling.
Une fin tragique
Toutefois, à peine ont-ils le temps de fouler le sol breton qu’ils sont découverts par l’ennemi. Le combat s’engage mais tourne rapidement à leur désavantage. À court de munitions, les quatre Français sont faits prisonniers. Blessé à l’épaule, Émile Bouétard est sommairement assassiné entre 0 heure 40 et 1 heure 30 du matin. Il est le premier mort français de l’opération Overlord et le troisième des forces alliées après les Britanniques Den Brotheridge et Fred Greenhalgh tombés quelques instants plus tôt aux abords du pont de Bénouville sur le canal de l’Orne.
Les 14 autres commandos des deux sticks parviendront à rejoindre Saint-Michel sans encombre.
Rédigé par l’adjudant-chef Jean-Paul Talimi, rédacteur au CESA
« Aucune nouvelle de ma chère famille. Seul Dieu pourrait me dire ce qu’ils deviennent. Ma vieille maman, mon frère, mes sœurs et mes chères petites-nièces qui ont déjà perdu leur père tué par ces boches maudits. » Ces quelques lignes ont été écrites le 14 mai 1944 par Émile Bouétard. Quatre-vingts ans plus tard, quasiment jour pour jour, Marie-Anne Delambily, 90 ans, les relit toujours avec la même émotion : « C’est notre héros. »
Les deux sœurs Monique Colin, 86 ans (à droite) et Marie-Anne Delambily, 90 ans, sont les nièces d’Émile Bouétard. Vivant toujours à Pleudihen-sur-Rance, elles font perdurer la mémoire de leur oncle. (…)
(…) Émile Bouétard est communément considéré comme le tout premier soldat allié mort au cours de l’opération Overlord. Mais selon David Portier, spécialiste des SAS, ce titre peut également être attribué à deux soldats britanniques : le lieutenant Den Brotheridge et le lance-caporal Fred Greenhalgh du régiment des Oxfordshire & Buckinghamshire Light Infantry, mortellement touchés lors de l’assaut du pont de Bénouville sur le canal de l’Orne. “Il y a eu parfois des confusions car il y avait deux heures de décalage entre l’heure alliée et celle utilisée par les paysans français à l’époque. Selon l’heure alliée, Émile Bouétard est mort vers 1h30, alors que ces soldats anglais ont été tués vers 00h30. Les archives des pilotes de la RAF [Royal Air Force, NDLR] sont très claires là-dessus”, explique l’auteur des “Parachutistes SAS de la France libre”. “Mais cela n’enlève rien au courage de Bouétard et à ce qu’il a pu faire”, tient à préciser David Portier. (…)